Aliette Guibert-Certhoux on Thu, 6 Dec 2012 11:16:05 +0100 (CET)


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[Nettime-fr] Le monde transgenre de la création chez Claudie Hunzinger


C'est la période de l'Avent des fêtes chrétiennes pour les uns et
saturnales pour les autres. Noël n'est pas que la fête de la
marchandise de l'économie libérale c'est aussi le fête du solstice
d'hiver dans l'hémisphère nord (le 23 décembre exactement), de ses
revenants et de ses vivants, avec le feuillage persistant du sapin, du
houx, du lierre, au nord de l'Europe et du laurier et de l'olivier au
sud. Dans l'hémisphère sud c'est le solstice d'été. Je ne discuterai
pas sur l'opportunité écologique de la coupe du sapin et de la
marchandise parce que cette année apparemment les vitrines animées des
grands magasins à Paris ne sont plus dédiées aux enfants, mais au
pavois des grandes marques pour les touristes.

Finis les enfants accumulés devant les vitrines du Printemps et des
Galeries Lafayette... Debordiens, il n'y a pourtant pas de quoi se
réjouir, d'abord parce que cela signifie une diminution radicale de la
consommation qui connote une récession et qui annonce beaucoup plus de
misère que nous n'en constatons déjà largement au-dessus de la limite
tolérable dans une société responsable, et ensuite, parce que nous
avons appris à comprendre depuis trois décennies que dans les
démocraties capitalistes Étatiques, tout le réformisme de gauche fut
toujours récupéré aux propres dépens de la population la moins riche y
compris la plus radicale elle-même.

Donc ce genre de débat m'ennuie profondément même si j'ai pu y
participer héroïquement en d'autres temps.

En outre, je ne vois pas pourquoi personne se targuant d'écologie ne
trouve anormal de planter des arbres de coupe afin d'en faire des
meubles ou du bois de chauffage, mais par contre oui concernant les
sapins pour faire des arbres de Noël. Pour moi c'est équivalent.

Au contraire je trouve scandaleuses les exploitations forestières
privées concédées par l'Office national des Forêts qui sous le couvert
de faire entretenir les forêts domaniales sans frais pour l'État
volent des arbres centenaires du patrimoine collectif d'une valeur
commerciale élevée, sans avoir l'obligation de replanter (cela à nos
propres frais), et de toutes façons à un rythme tel que la forêt
clairsemée exposée à la pollution de l'air et des sols où seuls deux
ou trois arbres monuments "muséifiés" seront excessivement entretenus
(au lieu de les laisser se succéder naturellement les générations
suivantes pour les générations humaines suivantes). Parce que où la
densité des arbres les empêchait soi-disant de croître -- ce qui est
faux, à un certain point, car les arbres aussi se protègent entre eux,
tant il apparaît clairement que ces arbres centenaires aient cru dans
un tissu végétal dense où principalement c'était le sous-bois qui
était nettoyé, et les arbres coupés donnant l'obligation de planter,
--  aujourd'hui elle protège leur micro-environnement et la glèbe.
Cependant, on fait en sorte d'accroître la destruction des conditions
de vie des arbres, et ainsi la disparition de la forêt par toutes les
actions possibles.

Exemple : le scandale de la forêt de Tronçais ici même en FR, où j'ai
pu constater la vitesse de la différence en deux ans à travers une
accélération du volume de coupe autorisé sous les deux dernières
présidences et notamment sous la précédente, et surtout des arbres
coupés de la plus haute qualité pour leur exploitation commerciale
(construction et mobilier).

Enfin, à quoi sert de couper un arbre centenaire pour la construction
si l'on ne respecte pas les cycles lunaires afin que le bois soit si
resserré qu'il fasse des poutres insensibles aux parasites et solides
comme de l'acier ? C'est du massacre sur tous les plans. Je pense bien
sûr aux chênes de Tronçais.

http://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_de_Tron%C3%A7ais

Il y a aussi tous ces arbres de coupe pour la pâte à papier, et le
gâchis des livres victimes du pilon en France, parce que le cycle
commercial de la production et de la distribution du livre et de ses
retours demeure lié au nombre d'exemplaires en des multiples qui ne
correspondent pas à la possibilité de celui des lecteurs (sinon : pas
de distributeurs),  et au contrôle que les retours ne doivent pas être
vendus : alors on détruit, où l'on pourrait donner sans vendre...
c'est tellement plus sûr pour le fisc et punitif de la gratuité du don
du reste... Et de tout cela, beaucoup plus que dû aux librairies en
ligne qui à mon avis au contraire sauvent le livre où les libraires
urbains sauf quelques uns ne parviennent plus à le sauver dans les
conditions qui leur sont imposées par la distribution, et ce rapport
étant fait avec la médiatisation : la perte de l'intelligence de la
réalité par les livres, où de surcroît on ne traduit plus d'essais en
langues étrangères.

Je viens donc présenter ici le dernier livre de Claudie Hunzinger dont
c'est aussi le sujet, paru l'été dernier, qui est pour moi un
transgenre des contes de Noël où l'on parle de la misère dans la neige
et dans le froid...

D'abord Claudie Hunzinger est une artiste plasticienne qui travaille
sur le vivant végétal et minéral, pour de hautes performances dans des
musées ou des galeries, et dans le paysage de son environnement in
situ ; si en outre elle est écrivain ce n'est pas sans nécessité,
tellement son écriture intègre son art de plasticienne en l'intégrant.

http://www.claudie-hunzinger.com/spip.php?article1

Ensuite ce livre est une autofiction, fondée par une auto-biographie
de la perte de ses ressources il y a plusieurs décennies, elle sait
donc de quoi elle parle et aussi concernant sa bibliothèque. En même
temps ce combat de l'art et des lettres est ce qui a toujours conféré
à Claudie Hunzinger son endurance et son émergence, en dépit de la
rigueur de son habitat montagnard dans les Vosges, où avec son époux
non moins doué, en matière de façonner les conditions matérielles de
l'existence et de faire art de la nécessité vitale, elle demeure
aujourd'hui avec lui dans ce lieu devenu un havre, sur fond de
radicalisme du mode de vie.

Dans l'hémisphère terrestre où nous nous trouvons, de ce côté de
l'équateur, la disparition des ressources vitales s'est toujours
traditionnellement exprimée dans la fiction au moment de Noël,
réellement et métaphoriquement. Ici il faut y ajouter la question de
la disparition des livres cadrée par la disparition des ressources
sociales. Et c'était bien ce sens que nulle part ailleurs je sentais
logique d'exprimer dans La revue des ressources.

Voici ma présentation pour la revue des ressources où, au lien, vous
trouverez la citation intégrale de 27 pages de ce roman, intitulé "La
survivance" , et demain de nouveau quelques pages. Un livre de la
crise... et aussi de la crise des livres comme une a-culturation
accroissant la misère sociale.

Cordialement à vous et tous mes vœux traditionnels et pour autant à
distance de l'idéologie, pour cette fin d'année et l'inauguration de
la suivante.

A. G. C

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De quelques singularités stylistiques chez Claudie Hunzinger

La Survivance est le nom d’une maison en attente devenue le recours
imprévu de ses propriétaires, soudain voués à la disparition de leur
mode de vie et de leur économie de subsistance, alors qu’ils n’avaient
jamais pensé l’habiter. Tout simplement parce qu’elle n’était pas
seulement isolée mais inhabitable.
C’est le titre du roman d’autofiction « synesthésique » de Claudie
Hunzinger. Quelque chose d’autre qui était distant et inhabitable
s’habite dans le roman de Claudie H. — peut-être la forme romanesque
elle-même devenue inhabitable, que l’auto-fiction ressuscite, ou
plutôt la synesthésie venant habiter l’auto-fiction — lui donnant vie
(la cinquième dimension). Dans ce cas la quatrième dimension serait
l’actualisation organique par le style [1].
Le monde actuel inhabitable, ou plus intimement, toujours, la
conscience de vivre et de mourir. Jenny dont la synesthésie la rend
socialement inhabitable à l’égard d’elle-même, ou Sils
métaphysiquement pour lui-même. Tant d’étrangetés douloureuses nous
hantent dont on fait notre familiarité dynamique à lire La Survivance.
De toutes façons, créer ici, c’est habiter l’inhabitable (« l’âme des
poètes »).
Un livre excitant à lire, depuis les nourritures terrestres objectives
(au sens propre du mot : ressources et sensualité) jusqu’aux
nourritures de l’esprit (objectives au sens propre du mot :
c’est-à-dire portées par les livres et la musique) — dont jamais le
concret si misérable pourrait-il devenir ne livre à sa fatalité, tant
qu’elles demeurent inséparables. Non pas l’un menant vers l’autre mais
les deux se déroulant en même temps en regard l’un de l’autre.
Où le style tisse la singularité du destin de l’œuvre comme celle du
vivant (en leur somme incrustée de petits et de grands événements
et/ou d’accidents prévisibles et/ou imprévisibles).
Et donc un livre paradoxalement incident et centré à l’image de la vie
comme destin (dans le sens du hasard pour ce qu’il fera advenir des
choix par l’environnement et les circonstances des rencontres et des
opportunités), passionnant dans son hétérogénéité — le principe vital
qui se pense lui-même, à la fois prédateur et proie.
Le livre ne fait pas l’ellipse du mal ni même par la morale.
La puissance — l’énergie créatrice qui se manifeste par l’ouvrage.
La faculté d’Alice où le livre est l’horloger des abîmes et des rêves.
Où les livres-se-livrent-et-livrent à la dialectique de la vie. L’un
et réciproquement dans le miroir infini de l’autre.
La vie concrète toujours ressaisie en expérience multiple et continue
de la sensibilité de l’esprit (la connaissance, l’intelligence à a
fois exactes et approximatives). Un livre sur l’événement de renaître
toujours par la diversité du contact anachronique entre les
références, tels les livres rassemblés par Jenny selon les couleurs de
son inspiration, et de cet assemblage, l’autre idée qui surgiit. Et
cet ouvrage même, dans une forme imprévue de l’essai (sa philosophie
singulière), prenant subtilement la porte ouverte sur la compréhension
joyeuse (Nietzsche), celle d’un roman singulièrement sympathique (en
même temps qu’irritant), et bouleversant d’énergie positive.
Il met en question d’aventure nos histoires de vie respectives, à
travers celle pourtant caractéristique de l’imagination exprimée par
l’écriture qui nous captive — nous sommes à la fois sous l’œil de
l’aigle et saisis par l’humour toujours héroïque de sa séductrice
(celle qui fait son affaire du risque y compris le style comme risque
de l’existence).
L’ouvrage a été crédité d’une attention particulière de la Presse dont
la diversité des remarques et des supports doit être notée, comme s’il
s’agissait d’une expérience collective aux lectures variées. Alors il
s’agirait d’existences de haut niveau — en somme un livre qui anoblit
ses lecteurs par sa propre distinction. Des lettres — avoir des
lettres c’est cela, toujours particulier : initié ou initiatique, une
façon de construire la vie arbitrairement. Ce que La Survivance offre
au lecteur, comme Faure suggéra d’offrir autrement l’histoire de
l’art, et Warburg radicalement l’histoire des idées.
Claudie Hunzinger distille son énergie littéraire depuis toutes sortes
de mémoires et d’actualités, coexistantes avec le filtre de tous ses
savoirs notamment, artistiques, plastiques, agricoles, rupestres,
domestiques, livresques — la philosophie incluse.
Plaise au lecteur de découvrir à travers ces quelques pages à la fois
le regard impitoyablement critique de l’enfance, quand ses visions
sont troublées par le monde contraire (regard qui résiste dans la
créativité des adultes), et le style contemporain particulièrement
riche de Claudie Hunzinger. Un style vivant au sens propre, surgi du
réseau cognitif conceptuel et poétique des métamorphoses bibliophiles
de Warburg, cité précisément par l’auteure. Comme si sa liberté
interprétative l’extrapolait en l’affectant à toutes les substances
sociales et matérielles qui l’environnent elle-même, chacune étant
capable de faire rebondir l’innovation d’un potentiel de l’autre — en
potentiel vital. De Warburg, elle évoque avec précision la recherche
de l’activité mentale anachronique et variable, appliquée à la
création de la bibliothèque organique. Comme un roman — une fiction —
peut devenir organique à travers l’auto-fiction, et se transformer à
sa lecture variable.
Tissant une dentelle écrite de plusieurs matériaux des mots, disant la
richesse de s’arracher à deux de la solitude, et en même temps la
beauté des solitudes quand elles bâtissent ensemble sans se
ressembler. Tels ces reliefs en motifs diversement extraits,
entrelacés, incrustés, et rythmés de mots formant les phrases, parfois
interrompus et repris sous une autre forme, ou retrouvés tels quels —
raccrochés — au détour d’une autre phrase forment un territoire aux
multiples reliefs. Sa tendresse et la pluralité de sa force, tirée de
sa cohérence durable due à son talent auto-critique et même
auto-dérisoire, son acuité, sa volupté.
Et de tout cela le style de Claudie Hunzinger, une arborescence sans
limite de désir et de sens, contre le désert surgi de la multitude des
significations reproductibles, qui ne parviennent plus à distraire de
leur violence érosive. Elle active notre jouissance de la vie, si
ténue soit-elle (tant qu’on peut concourir à sa propre survie).
Contre la violence du monde exemplifié et la vie nue qui en résulte :
la passion de danser entre les univers avec des ponts de mots, créant
des mondes de mots, et des anamorphoses concrètes qui en surgissent
(Breton) : l’art et la poésie émergents au-delà de la culture
(désertique), contre le désert économique et la dévastation de la
guerre.
L’ouvrage construit sans le dire l’abstraction d’un anagramme
romanesque qui entraîne dans un jeu critique renouvelable au contact
du monde du lecteur (qu’il soit cultivé ou pas — et dans ce cas à
suivre le fil de l’auteure, qu’il se laisse faire, le livre le
conduira à découvrir les objets de ses références personnelles jamais
conçus comme tels auparavant). Magie n’est pas une image mais une
réalité.
Un livre d’étrennes.
C’est son second ouvrage paru aux éditions Grasset, et son cinquième
livre. (A. G. C.)

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La suite :

L'extrait intégral du roman dès aujourd'hui ici :

-- La « créolité » romanesque de Claudie Hunzinger : La Survivance (1
- pp. 12-29).
http://www.larevuedesressources.org/la-creolite-romanesque-de-claudie-hunzinger-la-survivance-1-pp-12-29,2443.html

et à partir de demain la seconde publication des extraits ici :

-- La « créolité » romanesque de Claudie Hunzinger : La Survivance (4
- pp. 220-223).
http://www.larevuedesressources.org/la-creolite-romanesque-de-claudie-hunzinger-la-survivance-4-pp-220-223,2446.html


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Amitié à tous.

A. G. C.
 http://www.criticalsecret.com

Contributrice pour La revue des ressources
http://www.larevuedesressources.org/

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http://www.nettime.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr