Louise Desrenards on Thu, 15 Mar 2007 02:33:42 +0100 (CET)


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[nettime-fr] Retour de réflexion


Jean Baudrillard était germaniste de formation, né le 27 juillet 1929 à
Reims et mort le 6 mars 2007 à Paris. Il était un sociologue et philosophe
français reconnu et célèbre dans le monde entier pour sa critique des médias
et de la société de consommation. Il est couramment rangé dans les penseurs
de la « post-modernité », ce qui lui a valu un certain nombre de critiques,
aussi bien à gauche, où on a pu critiquer son apparent manque d'engagement
et prétendu « apolitisme », et à droite, pour des motifs plus traditionnels
et conservateurs. Sa pensée, qui a fortement évolué depuis la publication, à
la fin des années 1960, du Système des objets et de La Société de
consommation, s'est concentrée sur la notion de « disparition de la réalité
», ce qui l'a rendu hermétique à un certain nombre de personnes ? bien que
sa philosophie n'ait rien à voir avec un quelconque hermétisme délibéré. A
l'égal d'autres penseurs, tels Jacques Derrida, son influence au sein du
système universitaire français est resté, pour l'instant, restreinte, bien
qu'il soit une référence majeure dans certains milieux philosophiques,
artistiques et politiques outre-atlantique.

La tombe de Jean Baudrillard est dans la 8e division du cimetière du
Montparnasse, quartier de Paris où de son vivant il résidait. Il a été
inhumé le mardi 13 mars dans le plus grand dépouillement de la cérémonie, si
ce n'étaient la présence de ses fidèles amis, de ses amateurs respectueux
(bien plus nombreux qu'on aurait pu le croire), des intellectuels et de
nombreuses personnalités, venus lui rendre hommage, parmi lesquels le
ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres, pris au dépourvu devant
tant d'intérêt international soudain dévoilé par la Presse étrangère,
avouant en conclusion de sa brève allocution, d'une voix désemparée :
"J'aurais bien voulu parler avec Jean Baudrillard... Maintenant, il me reste
à le lire." 

Ce n'est pas le seul paradoxe que réserva la cérémonie devant le public
éberlué, à l'écoute de Alain Finkielkraut déclarant qu'il ne se passait pas
un jour sans qu'il lise Jean Baudrillard dont toujours il tenait un livre
ouvert sur son bureau, mais que d'un autre côté fréquenter la pensée de Jean
Baudrillard lui posait un grave problème personnel car : le système de
l'objet, le soulèvement des banlieues, le onze septembre, l'Islam
flamboyant, et nos villes infestées de grafitis, ça : non !!...

Quant à Jacques Donzelot, son complice d'activisme pédagogique à Nanterre,
au temps du mouvement du 22 mars, en 1968, déclarant à son tour, histoire de
faire un peu sortir le diable du bénitier, comme on dit, que lors d'une
conversation avec Jean Baudrillard en présence d'une personnalité qui leur
avait posé la question, dernièrement (comme Donzelot ne parlait pas haut, je
n'ai pas entendu disctinctement qui, ni les circonstances exactes mais ce
que j'ai bien entendu - et nous sommes plusieurs à l'avoir entendu):
"êtes-vous démocrates ?" et Donzelot racontant qu'il se tourne alors vers
Baudrillard : "Es-tu démocrate ?" ce dernier de répondre alors  : "ce n'est
pas une question qu'on pose à un ami."...

Bref tout y était pour nous réjouir pourtant les larmes...

Un peu plus loin, à l'entrée du cimetière, vers l'avenue Edgar Quinet,
veillent d'un côté Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, et de l'autre
Roland Topor, parmi les tombeaux ici qui comptent au coeur de la modernité
et de la post-modernité, dont celui de Charles Baudelaire.


Varia

Des funérailles avec le plus grand dépouillement de la cérémonie, ce qui
n'avait rien de surprenant sachant qui était Jean, mais les fleurs
apparurent d'on ne sait où, couvrant sa tombe après que tout le monde ait
quitté les cimetière ; cinq ou six personnes que je ne connaissais pas, des
jeunes et des moins jeunes qui avaient l'air de se rencontrer par hasard,
étaient revenues ici exactement au pied de celle-ci, parmi les autres tombes
et s'y tenaient debout, devisant tranquilement.

C'était encore étrangement une des journées les plus polluées de la saison à
Paris. Le stationnement avait été déclaré gratuit dans toute la ville, il
faisait doux et il y avait du soleil, de sorte que personne ne s'empêcha la
flannerie aux terrasses des cafés... Il y avait ceux qui préparaient leur
déjêuner avec un verre de vin et ceux qui buvaient du thé et achevant d'une
tartine leur petit déjeûner. Le tout portant très bas l'énergie du travail,
au retour des retrouvailles à propos de l'inhumation de Jean.

Au lieu de somnoler devant l'écran de mon ordinateur, je me suis allongée
sur mon lit, choquée, épuisée, incapable de dormir sinon rester dans l'état
d'un rêve éveillé...


Epilogue

Aujourd'hui, j'ai parlé au téléphone avec Paul Virilio. Car hier il n'y
était pas, étant dit avoir éprouvé un malaise à la gare, avant de prendre le
train (comme il habite à La Rochelle). Je voulais prendre des nouvelles.

Aujourd'hui il allait bien, par contre, il était très en colère.

Sa colère venait de ce qu'il lui était insupportable de lire en divers
endroits français et étrangers tant de bêtises, comme par exemple que la
pensée de Jean Baudrillard fut nihiliste : lui dont toute l'oeuvre était une
philosophie de l'immanence existencielle de tout être et chose au monde, et
la recherche de moyens émergents des formes de lutte à travers des processus
réversibles, comme la philosophie politique elle-même n'était plus un
recours car elle avait disparu. Lui, dont toute l'oeuvre était un combat
pour l'autonomie de la pensée contre le pouvoir sous toutes ses formes. Une
pensée entièrement dédiée à l'émergence dans notre temps, dit Virilio.

Que peut-on faire maintenant ? Prier et écrire, pour ceux qui croient, et
penser et écrire de la même façon, pour ceux qui ne croient pas avec leur
plus grande énergie, me répondit-il, en se mettant le coeur dans la tête,
plutôt que dans le sentiment, me dit-il, et en reléguant plus loin encore
l'opinion.

Puis il m'a évoqué les dernières paroles qu'il échangea avec Baudrillard
lors d'une conversation téléphonique avec lui, à deux jours de sa mort. Son
ami mourrant lui aurait dit que "les souffrances ne sont pas finies... "
Cela voulait dire qu'il parlait de lui, comme toujours dans une distance
quand les choses lui étaient insupportables, cherchant à s'en écarter comme
son propre sujet (souffrant) donc pour souffrir un peu moins, mais aussi
comme toujours quand il s'exprimait également ainsi dans des circonstances
différentes, c'était la façon de Baudrillard de se situer en particule parmi
les autres particules... C'est à dire de rejoindre les autres, le monde...
Et donc disant cela il parlait en même temps du monde.

Alors, nous avons parlé du crack boursier annoncé par les Etats-Unis qui
bien sûr n'y sont pas pour rien, qui commence à Shangaï, qui sera une
catastrophe incommensurable pour l'humanité dans le cadre de la
globalisation et de la résolution du dollar.

Puis nous avons alors parlé de la nouvelle loi sur l'euthanasie, car si nous
étions bien d'accord pour considérer la première loi extrêmement utile,
dépénaliser l'euthanasie, pas la loi pour la proclamer comme une règle
décidée par les tiers et notamment l'hopital eet un corps éthique étranger
statuant sur le destin d'une personne.

Et même dit Virilio proclamant la libre pensée, qu'un être bien sûr puisse
demander d'être aidé à se suicider s'il ne pouvait y parvenir, lui-même
étant privé d'autonomie pour le faire, (ceci dit volontairement pour
souligner que toute pensée chrétienne moraliste n'était pas la sienne) à
partir du moment où sa décision n'était pas l'objet des tiers, que par
contre nous ne pouvions, quelles que fussent nos raisons personnelles
éthiques, accepter la seconde loi qui revendiquait la décision des tiers non
seulement la famille mais le corps médical hospitalier et éthique, pour
installer l'euthanasie comme une règle de fin de vie, car nous savions
parfaitement que dans le climat où plus aucun crédit symbolique n'est fait à
la mort, et par conséquent à la vie elle-même autremment qu'utilitaire ou
non utilitaire, le pire ariverait tant de la part des familles pour se
débarasser d'un être gênant ou coûteux, que l'économie hospitalière et de
l'assurance maladie,  ne manquant pas de résoudre la crise de l'encombrement
médical et du coût des soins d'une façon eugéniste, dans une version
économique gestionnaire de la mort qui nous apparentait à la société du
nazisme.

Que cette manifestation des infirmières sans distance à leur cas, à la
situation des patients relativement au cas général d'une société d'où la
philosophie politique avait disparu, était absolument de l'ordre de
l'irresponsabilité collective basée sur l'inconscience du système où nous
vivions maintenant, toutes observations de tendances confondues, au nom de
revendiquer un soidisant mieux pour tout le monde...

Je suis d'accord, déjà la loi sur la mort pour conforter la banque des
organes, est rude car on ne sauve pas sytématiquement qui pourrait l'être
encore, maintenant celle-ci - pour peu d'ailleurs qu'elle rejoigne l'autre
pour ceux qui seraient pas contagieux parmi les fins de vie, etc...

Car tout le monde sait parfaitement que l'acharnement thérapeutique étant
forclos depuis longtemps, ce n'est plus de cela qu'il s'agit.



 
 
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