Louise Desrenards on Fri, 8 Jul 2016 22:59:33 +0200 (CEST)


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[Nettime-fr] Foot et vacances, trois statuts d'été sur Facebook


Voici un statut déposé hier soir sur facebook, il n'a laissé personne
indifférent et a provoqué de nombreux commentaires...

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" Je n'ai jamais été une passionnée de foot à cause des foules avides
et des marchés de la corruption au dessus-de toute éthique pour leur
plaire. Donc je ne regarde pas les matchs à la télé. En d'autres temps
je regardais plutôt le rugby avec mon père qui était un passionné...
Un jour il a trouvé que c'était devenu trop violent et il a cessé de
s'y intéresser. Alors je n'étais plus auprès de lui pour éprouver sa
vacance.
Le cher payé ce n'était pas le cas des joueurs de rugby. Gloire à eux.
Pour le foot mon père ne s'intéressait qu'à l'équipe de Saint Etienne
à cause de celui qu'il appelait "le petit Rocheteau" qui a fait une
superbe carrière ensuite, je crois.
Je trouve pourtant normal que les sportifs de haut niveau soient payés
cher parce qu'à partir de quarante ans -- quand ils exercent encore le
sport de compétition jusque là, -- ils ont le corps brisé, des ennuis
de santé... et tous n'auront pas la beauté la formation ou l'entregent
commercial pour recommencer un autre travail.
Certes trop c'est trop -- mais de toutes façons je préfère un Zidane à
un Carlos Ghos, qu'on se le dise.

Voici que mes petits enfants sont fans de foot ! Misère de misère, ça
doit venir de leur père... Du jeu d'échec auquel ils s'adonnent avec
concentration la moitié de la journée dans la cour, parmi leurs livres
posés à même le sol -- heureusement la chaleur est revenue, les
escargots ont disparu (autre passe-temps du plus jeune, le dressage
d'escargots en effeuillant pour les nourrir les basilics jusqu'à la
tige, et dont il trouve l'aspect admirable), -- à leur installation
sur la banquette en soirée, scotchés devant le poste et blottis contre
leur grand-père (qui profite de l'occasion pour regarder les matchs
que d'habitude il ne regarde pas plus que moi)... Et la joie de les
entendre commenter pendant que dans la cuisine je confectionne --
tardivement -- le dîner...
Bon, j'avoue... un super moment.
Rien à voir avec les soirées où assis devant la maison dans une allée
de gravier du jardin de curé nous regardions avec mes grand parents
chéris -- qui me rassuraient tant de la folie de mes parents -- le
soleil se coucher sur la Loire, tandis que descendait jusqu'à nous le
parfum des chèvre-feuilles...
Ici aussi nous avons planté un chèvre feuille dans un petit coin de la
cour, il n'y a pas de vue sinon le ciel tout là-haut mais ça marche
bien et le soir le parfum embaume les chambres par la fenêtre ouverte.

Je suis contente pour eux que la France des perdants en bataille ait gagné.
Aucun des deux n'est chauvin, juste fiers que nous soyons la seule
équipe d'Europe avec autant de joueurs aux couleurs de peau et aux
coupes de cheveux différents, Ils m'ont dit, tu vois, c'est pour ça
qu'on gagne, parce qu'ils ne sont pas obligatoirement les meilleurs
mais parce que ce n'est pas une équipe raciste -- parce qu'ils
s'aiment.
C'est beau le football vu par les enfants.
Il y a deux jours ils avaient aussi beaucoup d'estime pour les joueurs
islandais et pour le protocole de salut et de remerciement de leurs
fans, même s'ils avaient perdu... Ils connaissent chaque joueur de
chaque équipe, je n'en reviens pas."

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Certains commentaires étaient sympathiques voir élogieux et d'autres
:franchement odieux. Plutôt que me fâcher et éliminer des noms de mon
compte d'amis, j'ai préféré répondre par un autre statut. Je pense que
celui-ci est assez clair pour donner à comprendre de quoi il
s'agissait. Parmi leurs auteurs un ou deux vrais amis dans la vie
réelle. Les français pètent les plombs finissent par s'entre-haïr ou
plutôt haïr ce qui compose la vie de leurs voisins, alors qu'ils
croient s'aimer...

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"Ceux et seraient-ils des amis et donc mais, ou des camarades, qui
viennent cracher leur haine du foot et des gosses sur mon mur, c'est
inutile, vous ne savez pas lire. D'abord il s'agit de mes petits
enfants, et si leur évocation vous gène passez votre chemin car c'est
MA page et ce statut n'est pas public mais privé seulement pour mes
amis (et s'ils n'aiment pas les enfants qu'ils évitent de venir
commenter le post qui leur est consacré, c'est une question de
politesse). Ensuite je n'aime pas le foot, l'ai toujours dit chaque
fois qu'arrive un événement sportif, mais ici je parlais (dans mon
statut de la nuit) de l'ambiance de ma maison pendant un match de foot
avec des gosses qui en font quelques uns de leurs contes, et c'était
plutôt joli que laid.
En outre, je considère plus important de leur expliquer que la guerre
de Syrie n'est pas entre bons et méchants ni entre religions mais une
guerre géo-économique et géopolitique entre puissances, en leur
montrant une carte, pour corriger le baratin idéologique de leur prof
chargé d'intox au lycée, et à l'école. C'est difficile à faire sans
discréditer le prof -- pour ne pas exposer ces gosses à la double
contrainte, il faut dire, par exemple "oui sans doute mais encore, là
ils ont simplifié pour que cela paraisse plus clair, mais comme ici
nous avons le temps je vais prendre celui de vous expliquer davantage
avec des informations précises sur le terrain plutôt que par
jugement...", etc... C'est autre chose que les accabler de reproche
parce qu'ils aiment le foot -- en plus de la manipulation scolaire au
profit de la ligne du gouvernement, il faudrait donc assimiler l'
éducation à une autorité castratrice ou une fabrique de la
schizophrénie? Les empêcher d'être socialement joyeux ?

Enfin, ceux qui crachent sur le public du foot en y assimilant l'échec
des mobilisations héroïques des travailleurs des étudiants et de leurs
soutiens en masse, avec des grèves alternatives asynchrones, depuis 4
mois, tandis qu'un grand syndicat co-dirigeant avec le MEDEF l'Unedic
collaborait avec le pouvoir rendant impossible une grève générale, et
qui oublient le nombre de blessés et la répression judiciaire
expéditive et les peines assimilées à la répression du terrorisme des
camarades et des manifestants toujours entre les mains de la police
(qui rédige les enquêtes pour les juges), parlent, pardonnez-moi
l'expression, en imbéciles qui ne voient pas plus loin que le bout de
leur nez ; ils s'expriment en temps réel médiatique et sont privés de
mémoire même récente, ou parlent en salauds.

Ce sont les députés de la majorité et les frondeurs à l'assemblée
nationale qui ont laissé passer la loi travail délibérément,
trahissant le soulèvement populaire durable contre cette loi. Au
retour du Sénat elle serait de toutes façons passée sans 49.3 grâce
aux voix de droite, et c'est justement pour cacher la honte de la
preuve politique de droite du gouvernement que celui-ci a préféré
décréter le 49.3... c'est juste un faux fuyant de plus.
Ce réveil politique que nous venons de connaître, qu'il ait vaincu ou
pas, -- il a vaincu les interdits de toutes façons -- a été
magnifique. Nous savons tous que le fond de la disparition effective
de la démocratie et le déni des mandats sont dus à la "doublelangue"
territoire-constitutionnel-national/territoire-réglementaire-européen.
Sans souveraineté il n'y a plus de nation garantissant le système
démocratique des mandats électoraux dans un cadre constitutionnel, la
démocratie n'est plus qu'une forme dépourvue de son pacte symbolique
entre électeurs et élus. Ce ne serait pas grave si l'UE était une
démocratie électorale elle-même : ce n'est pas le cas.

Tant que le système n'aura pas explosé pour être radicalement changé,
nous devrons nous remobiliser et saluer le courage des syndicats des
syndiqués et des citoyens lambda qui les accompagneront en dépit de la
violence de la police. Ou nous vivrons captifs et dans l'injustice
sous tous ses aspects ainsi que les générations suivantes."

........................

Je me suis dit que Les mauvaises gouvernances installaient des
troubles sociaux et les sociétés troublées installaient des troubles
individuels.
Plutôt que faire de la psychologie et de la psycho-sociologie, j'ai
fait un troisième statut pour conclure...

........................

"La spécialité française c'est l'auto-dénigrement, et entre autre --
mais pas seulement -- par l'intelligentsia, c'est tellement courant
que cela a fait l'objet d'un des points de la préface du livre de
Fanon "Les damnés de la terre".[1]"

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Que vous partiez ou restiez, en attendant l'automne je vous souhaite un bel été.
Sincèrement. L.

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Note [1]
Cette préface la voici. Si elle a disparu des re-éditions c'est à
titre politique que Josie Fanon l'ordonna contre l'engagement ultime
de Sartre pour Israël un Etat colonisateur de la Palestine -- ce
qu'elle considéra à juste titre comme un retournement politique
trahissant tout ce pour quoi Franz Fanon s'était battu et avait admiré
Sartre. Mais en 1961 les choses écrites par Sartre étaient de toute
autre nature, qu'on en juge et comme il parle d'une certaine façon des
temps présents !


Les damnés de la terre Frantz Fanon 1961
Préface à l'édition de 1961 par Jean-Paul Sartre

Il n'y a pas si longtemps, la terre comptait deux milliards
d'habitants, soit cinq cents millions d'hommes et un milliard cinq
cents millions d'indigènes. Les premiers disposaient du Verbe, les
autres l'empruntaient. Entre ceux-là et ceux-ci, des roitelets vendus,
des féodaux, une fausse bourgeoisie forgée de toutes pièces servaient
d'intermédiaires. Aux colonies la vérité se montrait nue ; les “
métropoles ” la préféraient vêtue ; il fallait que l'indigène les
aimât. Comme des mères, en quelque sorte. L'élite européenne entreprit
de fabriquer un indigénat d'é- lite ; on sélectionnait des
adolescents, on leur marquait sur le front, au fer rouge, les
principes de la culture occidentale, on leur fourrait dans la bouche
des bâillons sonores, grands mots pâteux qui collaient aux dents ;
après un bref séjour en métropole, on les renvoyait chez eux, truqués.
Ces mensonges vivants n'avaient plus rien à dire à leurs frères ; ils
résonnaient ; de Paris, de Londres, d'Amsterdam nous lancions des mots
“ Parthénon !

Fraternité ! ” et, quelque part en Afrique, en Asie, des lèvres
s'ouvraient : “... thénon ! ... nité ! ” C'était l'âge d'or.

Il prit fin : les bouches s'ouvrirent seules ; les voix jaunes et
noires parlaient encore de notre humanisme mais c'était pour nous
reprocher notre inhumanité. Nous écoutions sans déplaisir ces courtois
exposés d'amertume. D'abord ce fut un émerveillement fier : comment ?
Ils causent tout seuls ? Voyez pourtant ce que nous avons fait d'eux !
Nous ne doutions pas qu'ils acceptassent notre idéal puisqu'ils nous
accusaient de n'y être pas fidèles ; pour le coup, l'Europe crut à sa
mission : elle avait hellénisé les Asiatiques, créé cette espèce
nouvelle, les nègres gréco-latins.

Nous ajoutions, tout à fait entre nous, pratiques : et puis laissons
les gueuler, ça les soulage ; chien qui aboie ne mord pas.

Une autre génération vint, qui déplaça la question. Ses écrivains, ses
poètes, avec une incroyable patience, essayèrent de nous expliquer que
nos valeurs collaient mal avec la vente de leur vie qu'ils ne
pouvaient ni tout à fait les rejeter m les assimiler En gros, cela
voulait dire : vous faites de nous des monstres votre humanisme nous
prétend universels et vos pratiques racistes nous particularisent.
Nous les écoutions, très décontractés : les administrateurs coloniaux
ne sont pas payés pour lire Hegel, aussi bien le lisent-ils peu, mais
ils n'ont pas besoin de ce philosophe pour savoir que les consciences
malheureuses s'empêtrent dans leurs contradictions. Efficacité nulle.
Donc perpétuons leur malheur, il n'en sortira que du vent. S'il y
avait, nous disaient les experts, l'ombre d'une revendication dans
leurs gémissements, ce serait celle de l'intégration. Pas question de
l'accorder, bien entendu : on eût ruiné le système qui repose, comme
vous savez, sur la surexploitation. Mais il suffirait de tenir devant
leurs yeux cette carotte : ils galoperaient. Quant à se révolter, nous
étions bien tranquilles : quel indigène conscient s'en irait massacrer
les beaux fils de l'Europe à seule fin de devenir européen comme eux ?
Bref, nous encouragions ces mélancolies et ne trouvâmes pas mauvais,
une fois, de décerner le prix Concourt à un nègre : c'était avant 39.

1961 Écoutez : “ Ne perdons pas de temps en stériles litanies ou en
mimétismes nauséabonds. Quittons cette Europe qui n'en finit pas de
parler de l'homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre,
à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde. Voici
des siècles... qu'au nom d'une prétendue "aventure spirituelle" elle
étouffe la quasi-totalité de l'humanité. ” Ce ton est neuf. Qui ose le
prendre ? Un Africain, homme du tiers monde, ancien colonisé. Il
ajoute : “ L'Europe a acquis une telle vitesse folle, désordonnée...
qu'elle va vers des abîmes dont il vaut mieux s'éloigner. ” Autrement
dit : elle est foutue. Une vérité qui n'est pas bonne à dire mais dont
- n est- ce pas, mes chers co-continentaux ? - nous sommes tous, entre
chair et cuir, convaincus.

Il faut faire une réserve, pourtant. Quand un Français, par exemple,
dit à d'autres Français : “ Nous sommes foutus ! ” - ce qui, à ma
connaissance, se produit à peu près tous les jours depuis 1930 -,
c'est un discours passionnel, brûlant de rage et d'amour, l'orateur se
met dans le bain avec tous ses compatriotes. Et puis il ajoute
généralement : “ À moins que... ” On voit ce que c'est : il n'y a plus
une faute à commettre ; si ses recommandations ne sont pas suivies à
la lettre, alors et seulement alors le pays se désintégrera. Bref,
c'est une menace suivie d'un conseil et ces propos choquent d'autant
moins qu'ils jaillissent de l'intersubjectivité nationale. Quand
Fanon, au contraire, dit de l'Europe qu'elle court à sa perte, loin de
pousser un cri d'alarme, il propose un diagnostic. Ce médecin ne
prétend ni la condamner sans recours - on a vu des miracles - ni lui
donner les moyens de guérir : il constate qu'elle agonise. Du dehors,
en se basant sur les symptômes qu'il a pu recueillir. Quant à la
soigner, non : il a d'autres soucis en tête ; qu'elle crève ou qu'elle
survive, il s'en moque. Par cette raison, son livre est scandaleux.

Et si vous murmurez, rigolards et gênés : “ Qu'est-ce qu'il nous met !
”, la vraie nature du scandale vous échappe : car Fanon ne vous “ met
” rien du tout ; son ouvrage - si brûlant pour d'autres - reste pour
vous glacé ; on y parle de vous souvent, à vous jamais. Finis les
Concourt noirs et les Nobel jaunes : il ne reviendra plus le temps des
lauréats colonisés. Un ex-indigène “ de langue française ” plie cette
langue à des exigences nouvelles, en use et s'adresse aux seuls
colonisés : “ Indigènes de tous les pays sous-développés, unissez-vous
! ” Quelle déchéance : pour les pères, nous étions les uniques
interlocuteurs ; les fils ne nous tiennent même plus pour des
interlocuteurs valables : nous sommes les objets du discours. Bien
sûr, Fanon mentionne au passage nos crimes fameux, Sétif, Hanoi',
Madagascar, mais il ne perd pas sa peine à les condamner : il les
utilise. S'il démonte les tactiques du colonialisme, le jeu complexe
des relations qui unissent et qui opposent les colons aux “
métropolitains ” c'est pour ses frères ; son but est de leur apprendre
à nous déjouer.

Bref le tiers monde se découvre et se parle par cette voix. On sait
qu'il n'est pas homogène et qu'on y trouve encore des peuples
asservis, d'autres qui ont acquis une fausse indépendance d'autres qui
se battent pour conquérir la souveraineté, d'autres enfin qui ont
gagné la liberté plénière mais qui vivent sous la menace constante
d'une agression impérialiste. Ces différences sont nées de l'histoire
coloniale, cela veut dire de 1 oppression. Ici la Métropole s'est
contentée de payer quelques féodaux : là, divisant pour régner, elle a
fabriqué de toutes pie- ces une bourgeoisie de colonisés ; ailleurs
elle a fait coup double- la colonie est à la fois d'exploitation et de
peuplement.

Ainsi l'Europe a-t-elle multiplié les divisions, les oppositions,
forgé des classes et parfois des racismes, tenté par tous les
expédients de provoquer et d'accroître la stratification des sociétés
colonisées. Fanon ne dissimule rien : pour lutter contre nous,
l'ancienne colonie doit lutter contre elle-même. Ou plutôt les deux ne
font qu'un. Au feu du combat, toutes les barrières intérieures doivent
fondre, l'impuissante bourgeoisie d'affairistes et de compradores, le
prolétariat urbain, toujours privilégie, le lumpenproletariat des
bidonvilles, tous doivent s'aligner sur les positions des masses
rurales, véritable réservoir de 1 armée nationale et révolutionnaire ;
dans ces contrées dont le colonialisme a délibérément stoppé le
développement, la paysannerie, quand elle se révolte, apparaît très
vite comme la classe radicale- elle connaît l'oppression nue, elle en
souffre beaucoup plus que les travailleurs des villes et, pour
l'empêcher de mourir de faim, il ne faut rien de moins qu'un
éclatement de toutes les structures. Qu'elle triomphe, la Révolution
nationale sera socialiste ; qu'on arrête son élan, que la bourgeoisie
colonisée prenne le pouvoir, le nouvel État, en dépit d'une
souveraineté formelle, reste aux mains des impérialistes. C'est ce qu
illustre assez bien l'exemple du Katanga. Ainsi l'unité du tiers monde
n'est pas faite : c'est une entreprise en cours qui passe par 1’union,
en chaque pays, après comme avant l'indépendance, de tous les
colonisés sous le commandement de la classe paysanne.

Voilà ce que Fanon explique à ses frères d'Afrique, d’Asie, d'Amérique
latine : nous réaliserons tous ensemble et partout le socialisme
révolutionnaire ou nous serons battus un à un par nos anciens tyrans.
Il ne dissimule rien ; ni les faiblesses, ni les dis- cordes, ni les
mystifications. Ici le mouvement prend un mauvais départ ; là, après
de foudroyants succès, il est en perte de vitesse ; ailleurs il s'est
arrêté : si l'on veut qu'il reprenne, il faut que les paysans jettent
leur bourgeoisie à la mer. Le lecteur est sévèrement mis en garde
contre les aliénations les plus dangereuses : le leader, le culte de
la personne, la culture occidentale et, tout aussi bien, le retour du
lointain passé de la culture africaine : la vraie culture c'est la
Révolution ; cela veut dire qu'elle se forge à chaud. Fanon parle à
voix haute ; nous, les Européens, nous pouvons l'entendre : la preuve
en est que vous tenez ce livre entre vos mains ; ne craint-il pas que
les puissances coloniales tirent profit de sa sincérité ?

Non. Il ne craint rien. Nos procédés sont périmés : ils peuvent
retarder parfois l'émancipation, ils ne l'arrêteront pas. Et
n'imaginons pas que nous pourrons rajuster nos méthodes : le
néo-colonialisme, ce rêve paresseux des Métropoles, c'est du vent ;
les “ troisièmes forces ” n'existent pas ou bien ce sont les
bourgeoisies bidon que le colonialisme a déjà mises au pouvoir.

Notre machiavélisme a peu de prises sur ce monde fort éveillé qui a
dépisté l'un après l'autre nos mensonges. Le colon n'a qu'un recours :
la force, quand il lui en reste ; l'indigène n'a qu'un choix : la
servitude ou la souveraineté. Qu'est-ce que ça peut lui faire, à
Fanon, que vous lisiez ou non son ouvrage, c'est à ses frères qu'il
dénonce nos vieilles malices, sûr que nous n'en avons pas de rechange.
C'est à eux qu'il dit : l'Europe a mis les pattes sur nos continents,
il faut les taillader jusqu'à ce qu'elle les retire ; le moment nous
favorise : rien n'arrive à Bizerte, à Élisabethville, dans le bled
algérien que la terre entière n'en soit informée ; les blocs prennent
des partis contraires, ils se tiennent en respect, profitons de cette
paralysie, entrons dans l'histoire et que notre irruption la rende
universelle pour la première fois ; battons-nous : à défaut d'autres
armes, la patience du couteau suffira.

Européens, ouvrez ce livre, entrez-y. Après quelques pas dans la nuit
vous verrez des étrangers réunis autour d'un feu, approchez, écoutez :
ils discutent du sort qu'ils réservent à vos comptoirs, aux
mercenaires qui les défendent. Ils vous verront peut-être, mais ils
continueront de parler entre eux, sans même baisser la voix. Cette
indifférence frappe au cœur : les pères, créatures de l'ombre, vos
créatures, c'étaient des âmes mortes, vous leur dispensiez la lumière,
ils ne s'adressaient qu'à vous, et vous ne preniez pas la peine de
répondre à ces zombies. Les fils vous ignorent : un feu les éclaire et
les réchauffe, qui n'est pas le vôtre. Vous, à distance respectueuse,
vous vous sentirez furtifs, nocturnes, transis : chacun son tour ;
dans ces ténèbres d'où va surgir une autre aurore, les zombies, c'est
vous.

En ce cas, direz-vous, jetons cet ouvrage par la fenêtre. Pourquoi le
lire puisqu'il n'est pas écrit pour nous ? Pour deux motifs dont le
premier est que Fanon vous explique à ses frères et démonte pour eux
le mécanisme de nos aliénations : profitez- en pour vous découvrir à
vous-mêmes dans votre vérité d'objets. Nos victimes nous connaissent
par leurs blessures et par leurs fers : c'est ce qui rend leur
témoignage irréfutable. Il suffit qu'elles nous montrent ce que nous
avons fait d'elles pour que nous connaissions ce que nous avons fait
de nous. Est-ce utile ?

Oui, puisque l'Europe est en grand danger de crever. Mais, direz-vous
encore, nous vivons dans la Métropole et nous réprouvons les excès.
C’est vrai : vous n'êtes pas des colons, mais vous ne valez pas mieux.
Ce sont vos pionniers, vous les avez envoyés, outre-mer, ils vous ont
enrichis ; vous les aviez prévenus : s'ils faisaient couler trop de
sang, vous les désavoueriez du bout des lèvres ; de la même manière un
État - quel qu'il soit - entretient à l'étranger une tourbe
d'agitateurs, de provocateurs et d'espions qu'il désavoue quand on les
prend. Vous, si libéraux, si humains, qui poussez l'amour de la
culture jusqu'à la préciosité, vous faites semblant d'oublier que vous
avez des colonies et qu'on y massacre en votre nom. Fanon révèle à ses
camarades - à certains d'entre eux, surtout, qui demeurent un peu trop
occidentalisés - la solidarité des “ métropolitains ” et de leurs
agents coloniaux. Ayez le courage de le lire : par cette première
raison qu'il vous fera honte et que la honte, comme a dit Marx, est un
sentiment révolutionnaire. Vous voyez : moi aussi je ne peux me
déprendre de l'illusion subjective. Moi aussi, je vous dis : “ Tout
est perdu, à moins que... ” Européen, je vole le livre d'un ennemi et
j'en fais un moyen de guérir l'Europe. Profitez-en.

*

Et voici la seconde raison : si vous écartez les bavardages fascistes
de Sorel, vous trouverez que Fanon est le premier depuis Engels à
remettre en lumière l'accoucheuse de l'histoire.

Et n'allez pas croire qu'un sang trop vif ou que des malheurs
d'enfance lui aient donné pour la violence je ne sais quel goût
singulier : il se fait l'interprète de la situation, rien de plus.
Mais cela suffit pour qu'il constitue, étape par étape, la dialectique
que l'hypocrisie libérale vous cache et qui nous a produits tout
autant que lui.

Au siècle dernier, la bourgeoisie tient les ouvriers pour des envieux,
déréglés par de grossiers appétits, mais elle prend soin d'inclure ces
grands brutaux dans notre espèce : à moins d'être hommes et libres,
comment pourraient-ils vendre librement leur force de travail. En
France, en Angleterre, l'humanisme se pré- tend universel.

Avec le travail forcé, c'est tout le contraire : pas de contrat ; en
plus de ça, il faut intimider ; donc l'oppression se montre. Nos
soldats, outre-mer, repoussant l'universalisme métropolitain,
appliquent au genre humain le numerus clausus : puisque nul ne peut
sans crime dépouiller son semblable, l'asservir ou le tuer, ils posent
en principe que le colonisé n'est pas le semblable de l'homme. Notre
force de frappe a reçu mission de changer cette abstraite certitude en
réalité : ordre est donné de ravaler les habitants du territoire
annexé au niveau du singe supérieur pour justifier le colon de les
traiter en bêtes de somme. La violence coloniale ne se donne pas
seulement le but de tenir en respect ces hommes asservis, elle cherche
à les déshumaniser. Rien ne sera ménagé pour liquider leurs
traditions, pour substituer nos langues aux leurs, pour détruire leur
culture sans leur donner la nôtre ; on les abrutira de fatigue.
Dénourris, malades, s'ils résistent encore la peur terminera le job :
on braque sur le paysan des fusils ; viennent des civils qui
s'installent sur sa terre et le contraignent par la cravache à la
cultiver pour eux. S'il résiste, les soldats tirent, c'est un homme
mort ; s'il cède, il se dégrade, ce n'est plus un homme ; la honte et
la crainte vont fissurer son caractère, désintégrer sa personne.
L'affaire est menée tambour battant, par des experts : ce n'est pas
d'aujourd'hui que datent les “ services psychologiques ”. Ni le lavage
de cerveau. Et pourtant, malgré tant d'efforts, le but n'est atteint
nulle part : au Congo, où l'on coupait les mains des nègres, pas plus
qu'en Angola où, tout récemment, on trouait les lèvres des mécontents
pour les fermer par des cadenas. Et je ne prétends pas qu'il soit
impossible de changer un homme en bête : je dis qu'on n'y par- vient
pas sans l'affaiblir considérablement ; les coups ne suffi- sent
jamais, il faut forcer sur la dénutrition. C'est l'ennui, avec la
servitude : quand on domestique un membre de notre espèce, on diminue
son rendement et, si peu qu'on lui donne, un homme de basse-cour finit
par coûter plus qu'il ne rapporte. Par cette raison les colons sont
obligés d'arrêter le dressage à la mi- temps : le résultat, ni homme
ni bête, c'est l'indigène. Battu, sous-alimenté, malade, apeuré, mais
jusqu'à un certain point seulement, il a, jaune, noir ou blanc,
toujours les mêmes traits de caractère : c'est un paresseux, sournois
et voleur, qui vit de rien et ne connaît que la force.

Pauvre colon : voilà sa contradiction mise à nu. Il devrait, comme
fait, dit-on, le génie, tuer ceux qu'il pille. Or cela n'est pas
possible : ne faut-il pas aussi qu'il les exploite ? Faute de pousser
le massacre jusqu'au génocide, et la servitude jusqu'à l'abêtissement,
il perd les pédales, l'opération se renverse, une implacable logique
la mènera jusqu'à la décolonisation.

Pas tout de suite. D'abord l'Européen règne : il a déjà perdu mais ne
s'en aperçoit pas ; il ne sait pas encore que les indigènes sont de
faux indigènes : il leur fait du mal, à l'entendre, pour détruire ou
pour refouler le mal qu'ils ont en eux ; au bout de trois générations,
leurs pernicieux instincts ne renaîtront plus.

Quels instincts ? Ceux qui poussent les esclaves à massacrer le maître
? Comment n'y reconnaît-il pas sa propre cruauté retour- née contre
lui ? La sauvagerie de ces paysans opprimés, comment n'y retrouve-t-il
pas sa sauvagerie de colon qu'ils ont absorbée par tous les pores et
dont ils ne se guérissent pas ? La raison est simple : ce personnage
impérieux, affolé par sa toute- puissance et par la peur de la perdre,
ne se rappelle plus très bien qu'il a été un homme : il se prend pour
une cravache ou pour un fusil ; il en est venu à croire que la
domestication des “ races inférieures ” s'obtient par le
conditionnement de leurs réflexes.

Il néglige la mémoire humaine, les souvenirs ineffaçables ; et puis,
surtout, il y a ceci qu'il n'a peut-être jamais su : nous ne devenons
ce que nous sommes que par la négation intime et radicale de ce qu'on
a fait de nous. Trois générations ? Dès la seconde, à peine
ouvraient-ils les yeux, les fils ont vu battre leurs pères. En termes
de psychiatrie, les voilà “ traumatisés ”.

Pour la vie. Mais ces agressions sans cesse renouvelées, loin de les
porter à se soumettre, les jettent dans une contradiction
insupportable dont l'Européen, tôt ou tard, fera les frais. Après
cela, qu'on les dresse à leur tour, qu'on leur apprenne la honte, la
douleur et la faim : on ne suscitera dans leurs corps qu'une rage
volcanique dont la puissance est égale à celle de la pression qui
s'exerce sur eux. Ils ne connaissent, disiez-vous, que la force ? Bien
sûr ; d'abord ce ne sera que celle du colon et, bien- tôt, que la
leur, cela veut dire : la même rejaillissant sur nous comme notre
reflet vient du fond d'un miroir à notre rencontre.

Ne vous y trompez pas ; par cette folle rogne, par cette bile et ce
fiel, par leur désir permanent de nous tuer, par la contracture
permanente de muscles puissants qui ont peur de se dénouer, ils sont
hommes : par le colon, qui les veut hommes de peine, et contre lui.
Aveugle encore, abstraite, la haine est leur seul trésor : le Maître
la provoque parce qu'il cherche à les abêtir, il échoue à la briser
parce que ses intérêts l'arrêtent à mi-chemin ; ainsi les faux
indigènes sont humains encore, par la puissance et l'impuissance de
l'oppresseur qui se transforment, chez eux, en un refus entêté de la
condition animale. Pour le reste on a com- pris ; ils sont paresseux,
bien sûr : c'est du sabotage. Sournois, voleurs : parbleu ; leurs
menus larcins marquent le commencement d'une résistance encore
inorganisée. Cela ne suffit pas : il en est qui s'affirment en se
jetant à mains nues contre les fusils ; ce sont leurs héros ; et
d'autres se font hommes en assassinant des Européens. On les abat :
brigands et martyrs, leur supplice exalte les masses terrifiées.

Terrifiées, oui : en ce nouveau moment, l'agression coloniale
s'intériorise en Terreur chez les colonisés. Par là je n'entends pas
seulement la crainte qu'ils éprouvent devant nos inépuisables moyens
de répression mais aussi celle que leur inspire leur propre fureur.
Ils sont coincés entre nos armes qui les visent et ces effrayantes
pulsions, ces désirs de meurtre qui montent du fond des cœurs et
qu'ils ne reconnaissent pas toujours : car ce n'est pas d'abord leur
violence, c'est la nôtre, retournée, qui grandit et les déchire ; et
le premier mouvement de ces opprimés est d'enfouir profondément cette
inavouable colère que leur morale et la nôtre réprouvent et qui n'est
pourtant que le dernier réduit de leur humanité. Lisez Fanon : vous
saurez que, dans le temps de leur impuissance, la folie meurtrière est
l'inconscient collectif des colonisés.

Cette furie contenue, faute d'éclater, tourne en rond et ravage les
opprimés eux-mêmes. Pour s'en libérer, ils en viennent à se massacrer
entre eux : les tribus se battent les unes contre les autres faute de
pouvoir affronter l'ennemi véritable - et vous pouvez compter sur la
politique coloniale pour entretenir leurs rivalités ; le frère, levant
le couteau contre son frère, croit détruire, une fois pour toutes,
l'image détestée de leur avilissement commun. Mais ces victimes
expiatoires n'apaisent pas leur soif de sang ; ils ne s'empêcheront de
marcher contre les mitrailleuses qu'en se faisant nos complices :
cette déshumanisation qu'ils repoussent, ils vont de leur propre chef
en accélérer les progrès. Sous les yeux amusés du colon, ils se
prémuniront contre eux-mêmes par des barrières surnaturelles, tantôt
ranimant de vieux mythes terribles, tantôt se ligotant par des rites
méticuleux : ainsi l'obsédé fuit son exigence profonde en s'infligeant
des manies qui le requièrent à chaque instant. Ils dansent : ça les
occupe ; ça dénoue leurs muscles douloureusement contractés et puis la
danse mime en secret, souvent à leur insu, le Non qu'ils ne peuvent
dire, les meurtres qu'ils n'osent commettre. En certaines régions ils
usent de ce dernier recours : la possession. Ce qui était autrefois le
fait religieux dans sa simplicité, une certaine communication du
fidèle avec le sacré, ils en font une arme contre le désespoir et
l'humiliation : les zars, les loas, les Saints de la Sainterie
descendent en eux, gouvernent leur violence et la gaspillent en
transes jusqu'à l'épuisement. En même temps ces hauts personnages les
protègent : cela veut dire que les colonisés se défendent de
l'aliénation coloniale en renchérissant sur l'aliénation religieuse.
Avec cet unique résultat, au bout du compte, qu'ils cumulent les deux
aliénations et que chacune se renforce par l'autre. Ainsi, dans
certaines psychoses, las d'être insultés tous les jours, les
hallucinés s'avisent un beau matin d'entendre une voix d'ange qui les
complimente ; les quolibets ne cessent pas pour autant : désormais ils
alternent avec la félicitation. C'est une défense et c'est la fin de
leur aventure : la personne est dissociée, le malade s'achemine vers
la démence. Ajoutez, pour quelques malheureux rigoureusement
sélectionnés, cette autre possession dont j'ai parlé plus haut : la
culture occidentale. À leur place, direz-vous, j'aimerais encore mieux
mes zars que l'Acropole. Bon : vous avez compris. Pas tout à fait
cependant car vous n'êtes pas à leur place. Pas encore. Sinon vous
sauriez qu'ils ne peuvent pas choisir : ils cumulent. Deux mondes, ça
fait deux possessions : on danse toute la nuit, à l'aube on se presse
dans les églises pour entendre la messe ; de jour en jour la fêlure
s'accroît. Notre ennemi trahit ses frères et se fait notre complice ;
ses frères en font autant. L'indigénat est une névrose introduite et
maintenue par le colon chez les colonisés avec leur consentement.

Réclamer et renier, tout à la fois, la condition humaine : la
contradiction est explosive. Aussi bien explose-t-elle, vous le savez
comme moi. Et nous vivons au temps de la déflagration : que la montée
des naissances accroisse la disette, que les nouveaux venus aient à
redouter de vivre un peu plus que de mourir, le torrent de la violence
emporte toutes les barrières. En Algérie, en Angola, on massacre à vue
les Européens. C'est le moment du boomerang, le troisième temps de la
violence : elle revient sur nous, elle nous frappe et, pas plus que
les autres fois, nous ne comprenons que c'est le nôtre. Les “ libéraux
” restent hébétés : ils reconnaissent que nous n'étions pas assez
polis avec les indigènes, qu'il eût été plus juste et plus prudent de
leur accorder certains droits dans la mesure du possible ; Ils ne
demandaient pas mieux que de les admettre par fournées et sans parrain
dans ce club si fermé, notre espèce : et voici que ce déchaînement
barbare et fou ne les épargne pas plus que les mauvais colons. La
gauche métropolitaine est gênée : elle connaît le véritable sort des
indigènes, l'oppression sans merci dont ils font l'objet, elle ne
condamne pas leur révolte, sachant que nous avons tout fait pour la
provoquer. Mais tout de même, pense-t-elle, il y a des limites : ces
guérilleros devraient tenir à cœur de se montrer chevaleresques ; ce
serait le meilleur moyen de prouver qu'ils sont des hommes. Parfois
elle les gourmande : “ Vous allez trop fort, nous ne vous soutiendrons
plus. ” Ils s'en foutent : pour ce que vaut le soutien qu'elle leur
accorde, elle peut tout aussi bien se le mettre au cul. Dès que leur
guerre a commencé, ils ont aperçu cette vérité rigoureuse : nous nous
valons tous tant que nous sommes, nous avons tous profité d'eux, ils
n'ont rien à prouver. Us ne feront de traitement de faveur à personne.
Un seul devoir, un seul objectif : chasser le colonialisme par tous
les moyens. Et les plus avisés d'entre nous seraient, à la rigueur,
prêts à l'admettre mais Us ne peuvent s'empêcher de voir dans cette
épreuve de force le moyen tout inhumain que des sous-hommes ont pris
pour se faire octroyer une charte d'humanité : qu'on l'accorde au plus
vite el qu'Us tâchent alors, par des entreprises pacifiques, de la
mériter Nos belles âmes sont racistes.

Elles auront profit à lire Fanon ; cette violence irrépressible il le
montre parfaitement, n'est pas une absurde tempête ni la résurrection
d'instincts sauvages ni même un effet du ressentiment : c'est l'homme
lui-même se recomposant. Cette vérité, nous l'avons sue, je crois, et
nous l'avons oubliée : les marques de la violence, nulle douceur ne
les effacera : c'est la violence qui peut seule les détruire. Et le
colonisé se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par
les armes. Quand sa rage éclate, il retrouve sa transparence perdue,
il se connaît dans la mesure même où il se fait ; de loin nous tenons
sa guerre comme le triomphe de la barbarie ; mais elle procède par
elle-même à l'émancipation progressive du combattant, elle liquide en
lui et hors de lui, progressivement, les ténèbres coloniales. Dès
qu'elle commence, elle est sans merci. Il faut rester terrifié ou
devenir terrible ; cela veut dire : s'abandonner aux dissociations
d'une vie truquée ou conquérir l'unité natale. Quand les paysans
touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un
à un renversés : l'arme d'un combattant, c'est son humanité.

Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un
Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps
un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre
; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la
plante de ses pieds. Dans cet instant la Nation ne s'éloigne pas de
lui : on la trouve où il va, où il est - jamais plus loin, elle se
confond avec sa liberté. Mais, après la première surprise, l'armée
coloniale réagit : il faut s'unir ou se faire massacrer. Les discordes
tribales s'atténuent, tendent à disparaître : d'abord parce qu'elles
mettent en danger la Révolution, et plus profondément parce qu'elles
n'avaient d'autre office que de dériver la violence vers de faux
ennemis.

Quand elles demeurent - comme au Congo -, c'est qu'elles sont
entretenues par les agents du colonialisme. La Nation se met en marche
: pour chaque frère elle est partout où d'autres frères combattent.
Leur amour fraternel est l'envers de la haine qu'ils vous portent :
frères en ceci que chacun d'eux a tué, peut, d'un instant à l'autre,
avoir tué. Fanon montre à ses lecteurs les limites de la “ spontanéité
”, la nécessité et les dangers de “ l'organisation ”. Mais, quelle que
soit l'immensité de la tâche, à chaque développement de l'entreprise
la conscience révolutionnaire s'approfondit. Les derniers complexes
s'envolent : qu'on vienne un peu nous parler du “ complexe de
dépendance ” chez le soldat de l'ALN. Libéré de ses œillères, le
paysan prend connaissance de ses besoins : ils le tuaient mais il
tentait de les ignorer ; il les découvre comme des exigences infinies.
En cette violence populaire - pour tenir cinq ans, huit ans comme ont
fait les Algériens, les nécessités militaires, sociales et politiques
ne se peuvent distinguer. La guerre - ne fût-ce qu'en posant la
question du commandement et des responsabilités - institue de
nouvelles structures qui seront les premières institutions de la paix.
Voici donc l'homme instauré jusque dans des traditions nouvelles,
filles futures d'un horrible présent, le voici légitimé par un droit
qui va naître, qui naît chaque jour au feu : avec le dernier colon
tué, rembarqué ou assimilé, l'espèce minoritaire disparaît, cédant la
place à la fraternité socialiste. Et ce n'est pas encore assez : ce
combattant brûle les étapes ; vous pensez bien qu'il ne risque pas sa
peau pour se retrouver au niveau du vieil homme “ métropolitain ”.
Voyez sa patience : peut-être rêve-t-il quelquefois d'un nouveau
Dien-Bien-Phu ; mais croyez qu'il n'y compte pas vraiment : c'est un
gueux luttant, dans sa misère, contre des riches puissamment armés. En
attendant les victoires décisives et, souvent, sans rien attendre, il
travaille ses adversaires à l'écœurement. Cela n'ira pas sans
d'effroyables pertes ; l'armée coloniale devient féroce :
quadrillages, ratissages, regroupements, expéditions punitives ; on
massacre les femmes et les enfants. Il le sait : cet homme neuf
commence sa vie d'homme par la fin ; il se tient pour un mort en
puissance, n sera tué : ce n'est pas seulement qu'il en accepte le
risque, c'est qu'il en a la certitude ; ce mort en puissance a perdu
sa femme, ses fils ; il a vu tant d'agonies qu'il veut vaincre plutôt
que survivre ; d'autres profiteront de la victoire, pas lui : il est
trop las. Mais cette fatigue du cœur est à l'origine d'un incroyable
courage.

Nous trouvons notre humanité en deçà de la mort et du désespoir, il la
trouve au-delà des supplices et de la mort. Nous avons été les semeurs
de vent ; la tempête, c'est lui. Fils de la violence, il puise en elle
à chaque instant son humanité : nous étions hommes à ses dépens, il se
fait homme aux nôtres. Un autre homme : de meilleure qualité.

*

Ici Fanon s'arrête. Il a montré la route : porte-parole des
combattants, il a réclamé l'union, l'unité du continent africain
contre toutes les discordes et tous les particularismes. Son but est
atteint. S'il voulait décrire intégralement le fait historique de la
décolonisation, il lui faudrait parler de nous : ce qui n'est certes
pas son propos. Mais, quand nous avons fermé le livre, il se poursuit
en nous, malgré son auteur : car nous éprouvons la force des peuples
en révolution et nous y répondons par la force.

Il y a donc un nouveau moment de la violence et c'est à nous, cette
fois, qu'il faut revenir car elle est en train de nous changer dans la
mesure où le faux indigène se change à travers elle. À chacun de mener
ses réflexions comme il veut. Pourvu toutefois qu'il réfléchisse :
dans l'Europe d'aujourd'hui, tout étourdie par les coups qu'on lui
porte, en France, en Belgique, en Angleterre, le moindre
divertissement de la pensée est une complicité criminelle avec le
colonialisme. Ce livre n'avait nul besoin d'une préface. D'autant
moins qu'il ne s'adresse pas à nous. J'en ai fait une, cependant, pour
mener jusqu'au bout la dialectique : nous aussi, gens de l'Europe, on
nous décolonise : cela veut dire qu'on extirpe par une opération
sanglante le colon qui est en chacun de nous. Regardons-nous, si nous
en avons le courage, et voyons ce qu'il advient de nous.

Il faut affronter d'abord ce spectacle inattendu : le strip-tease de
notre humanisme. Le voici tout nu, pas beau : ce n'était qu'une
idéologie menteuse, l'exquise justification du pillage ; ses
tendresses et sa préciosité cautionnaient nos agressions. Ils ont
bonne mine, les non-violents : ni victimes ni bourreaux !

Allons ! Si vous n'êtes pas victimes, quand le gouvernement que vous
avez plébiscité, quand l'armée où vos jeunes frères ont servi, sans
hésitation ni remords, ont entrepris un “ génocide ”, vous êtes
indubitablement des bourreaux. Et si vous choisissez d'être victimes,
de risquer un jour ou deux de prison, vous choisissez simplement de
tirer votre épingle du jeu. Vous ne 1'en tirerez pas : il faut qu'elle
y reste jusqu'au bout. Comprenez enfin ceci : si la violence a
commencé ce soir, si l'exploitation l'oppression n'ont jamais existé
sur terre, peut-être la non-violence affichée peut apaiser la
querelle. Mais si le régime tout entier et jusqu'à vos non-violentes
pensées sont conditionnées par une oppression millénaire, votre
passivité ne sert qu'à vous ranger du côté des oppresseurs.

Vous savez bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que
nous avons pris l'or et les métaux puis le pétri des “ continents
neufs ” et que nous les avons ramenés dans vieilles métropoles. Non
sans d'excellents résultats : des pals des cathédrales, des capitales
industrielles ; et puis quand crise menaçait, les marchés coloniaux
étaient là pour l'amortir ou la détourner. L'Europe, gavée de
richesses, accorda de jure l'humanité à tous ses habitants : un homme,
chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de
l'exploitation coloniale. Ce continent gras et blême finit par donner
de ce que Fanon nomme justement le “ narcissisme ”. Cocteau s’agaçait
de Paris, “ cette ville qui parle tout le temps d'el même ”. Et
l'Europe, que fait-elle d'autre ? Et ce monstre sureuropéen,
l'Amérique du Nord ? Quel bavardage : liberté égalité, fraternité,
amour, honneur, patrie, que sais-je ? Cela nous empêchait pas de tenir
en même temps des discours racistes, sale nègre, sale juif, sale
raton. De bons esprits, libéraux tendres - des néo-colonialistes, en
somme - se prétendaient choqués par cette inconséquence ; erreur ou
mauvaise foi : ri de plus conséquent, chez nous, qu'un humanisme
raciste puisque l'Européen n'a pu se faire homme qu'en fabriquant des
esclaves et des monstres. Tant qu'il y eut un indigénat, ce imposture
ne fut pas démasquée ; on trouvait dans le genre humain une abstraite
postulation d'universalité qui servait couvrir des pratiques plus
réalistes : il y avait, de l'autre côté c mers, une race de
sous-hommes qui, grâce à nous, dans mi ans peut-être, accéderait à
notre état. Bref on confondait genre avec l'élite. Aujourd'hui
l'indigène révèle sa vérité ; du coup, notre club si fermé révèle sa
faiblesse : ce n'était ni plus ni moins qu'une minorité. Il y a pis :
puisque les autres se font hommes contre nous, il apparaît que nous
sommes les ennemis du genre humain ; l'élite révèle sa vraie nature :
un gang. Nos chères valeurs perdent leurs ailes ; à les regarder de
près, on n'en trouvera pas une qui ne soit tachée de sang. S'il vous
faut un exemple, rappelez-vous ces grands mots : que c'est généreux,
la France. Généreux, nous ? Et Sétif ? Et ces huit années de guerre
féroce qui ont coûté la vie à plus d'un million d'Algériens ? Et la
gégène. Mais comprenez bien qu'on ne nous reproche pas d'avoir trahi
je ne sais quelle mission : pour la bonne raison que nous n'en avions
aucune. C'est la générosité même qui est en cause ; ce beau mot
chantant n'a qu'un sens : statut octroyé.

Pour les hommes d'en face, neufs et délivrés, personne n'a le pouvoir
ni le privilège de rien donner à personne. Chacun a tous les droits.
Sur tous ; et notre espèce, lorsqu'un jour elle se sera faite, ne se
définira pas comme la somme des habitants du globe mais comme l'unité
infinie de leurs réciprocités. Je m'arrête ; vous finirez le travail
sans peine ; il suffit de regarder en face, pour la première et pour
la dernière fois, nos aristocratiques ver- tus : elles crèvent ;
comment survivraient-elles à l'aristocratie de sous-hommes qui les a
engendrées. Il y a quelques années, un commentateur bourgeois - et
colonialiste - pour défendre l'Occident n'a trouvé que ceci : “ Nous
ne sommes pas des anges. Mais nous, du moins, nous avons des remords.
” Quel aveu ! Autrefois notre continent avait d'autres flotteurs : le
Parthénon, Chartres, les Droits de l'homme, la svastika. On sait à
présent ce qu'ils valent : et l'on ne prétend plus nous sauver du
naufrage que par le sentiment très chrétien de notre culpabilité.

C'est la fin, comme vous voyez : l'Europe fait eau de toute part.

Que s'est-il donc passé ? Ceci, tout simplement, que nous étions les
sujets de l'histoire et que nous en sommes à présent les objets. Le
rapport des forces s'est renversé, la décolonisation est en cours ;
tout ce que nos mercenaires peuvent tenter c'est d'en retarder
l'achèvement.

Encore faut-il que les vieilles “ métropoles ” y mettent le paquet,
qu'elles engagent dans une bataille d'avance perdue toutes leurs
forces. Cette vieille brutalité coloniale qui a fait la gloire
douteuse des Bugeaud, nous la retrouvons, à la fin de l'aventure,
décuplée, insuffisante. On envoie le contingent en Algérie, il s'y
maintient depuis sept ans sans résultat La violence a changé de sens ;
victorieux nous l'exercions sans qu'elle parût nous altérer : elle
décomposait les autres et nous, les hommes, notre humanisme restait
intact ; unis par le profit, les métropolitains baptisaient
fraternité, amour, la communauté de leurs crimes ; aujourd'hui la
même, partout bloquée, revient sur nous à travers nos soldats,
s'intériorise et nous possède.

L'involution commence : le colonisé se recompose et nous, ultras et
libéraux, colons et “ métropolitains ”. nous nous décomposons. Déjà la
rage et la peur sont nues : elles se montrent à découvert dans les “
ratonnades ” d'Alger. Où sont les sauvages, à présent ? Où est la
barbarie ? Rien ne manque, pas même le tam-tam : les klaxons rythment
“ Algérie française ” pendant que les Européens font brûler vifs des
Musulmans. Il n'y a pas si longtemps. Fanon le rappelle, des
psychiatres en congrès s'affligeaient de la criminalité indigène : ces
gens-là s'entre-tuent, disaient-ils, cela n'est pas normal ; le cortex
de l'Algérien doit être sous-développé. En Afrique centrale d'autres
ont établi que “ l'Africain utilise très peu ses lobes frontaux ”. Ces
savants auraient intérêt aujourd'hui à poursuivre leur enquête en
Europe et particulièrement chez les Français.

Car nous aussi, depuis quelques années, nous devons être atteints de
paresse frontale : les patriotes assassinent un peu leurs compatriotes
; en cas d'absence, ils font sauter leur concierge et leur maison. Ce
n'est qu'un début : la guerre civile est prévue pour l'automne ou pour
le prochain printemps. Nos lobes pourtant semblent en parfait état :
ne serait-ce pas plutôt que, faute de pouvoir écraser l'indigène, la
violence revient sur soi, s'accumule au fond de nous et cherche une
issue ? L'union du peuple algérien produit la désunion du peuple
français : sur tout le territoire de l'ex-métropole, les tribus
dansent et se préparent au combat. La terreur a quitté l'Afrique pour
s'installer ici : car il y a des furieux tout bonnement, qui veulent
nous faire payer de notre sang la honte d'avoir été battus par
l'indigène et puis il y a les autres, tous les autres, aussi coupables
- après Bizerte, après les lynchages de septembre, qui donc est
descendu dans la rue pour dire : assez ? - mais plus rassis : les
libéraux, les durs de durs de la gauche molle. En eux aussi la fièvre
monte. Et la hargne. Mais quelle frousse ! Ils se masquent leur rage
par des mythes, par des rites compliqués ; pour retarder le règlement
de comptes final et l'heure de la vérité, ils ont mis à notre tête un
Grand Sorcier dont l'office est de nous maintenir à tout prix dans
l'obscurité. Rien n'y fait ; proclamée par les uns, refoulée par les
autres, la violence tourne en rond : un jour elle explose à Metz, le
lendemain à Bordeaux ; elle a passé par ici, elle passera par là,
c'est le jeu du furet. À notre tour, pas à pas, nous faisons le chemin
qui mène à l'indigénat. Mais pour devenir indigènes tout à fait, il
faudrait que notre sol fût occupé par les anciens colonisés et que
nous crevions de faim. Ce ne sera pas : non, c'est le colonialisme
déchu qui nous possède, c'est lui qui nous chevauchera bientôt, gâteux
et superbe ; le voilà, notre zar, notre loa. Et vous vous persuaderez
en lisant le dernier chapitre de Fanon, qu'il vaut mieux être un
indigène au pire moment de la misère qu'un ci-devant colon. Il n'est
pas bon qu'un fonctionnaire de la police soit obligé de torturer dix
heures par jour : à ce train-là, ses nerfs vont craquer à moins qu'on
n'interdise aux bourreaux, dans leur propre intérêt, de faire des
heures supplémentaires. Quand on veut protéger par la rigueur des lois
le moral de la Nation et de l'Armée, il n'est pas bon que celle-ci
démoralise systématiquement celle-là. Ni qu'un pays de tradition
républicaine confie, par centaines de milliers, ses jeunes gens à des
officiers putschistes, n n'est pas bon, mes compatriotes, vous qui
connaissez tous les crimes commis en notre nom, il n'est vraiment pas
bon que vous n'en souffliez mot à personne, pas même à votre âme par
crainte d'a- voir à vous juger. Au début vous ignoriez, je veux le
croire, ensuite vous avez douté, à présent vous savez mais vous vous
taisez toujours. Huit ans de silence, ça dégrade. Et vainement :
aujourd'hui, l'aveuglant soleil de la torture est au zénith, il
éclaire tout le pays ; sous cette lumière, il n'y a plus un rire qui
sonne juste, plus un visage qui ne se farde pour masquer la colère ou
la peur, plus un acte qui ne trahisse nos dégoûts et nos complicités.
Il suffit aujourd'hui que deux Français se rencontrent pour qu'il y
ait un cadavre entre eux. Et quand je dis : un...

La France, autrefois, c'était un nom de pays ; prenons garde que ce ne
soit, en 1961, le nom d'une névrose.

Guérirons-nous ? Oui. La violence, comme la lance d'Achille, peut
cicatriser les blessures qu'elle a faites. Aujourd'hui, nous sommes
enchaînés, humiliés, malades de peur : au plus bas. Heureusement cela
ne suffit pas encore à l'aristocratie colonialiste : elle ne peut
accomplir sa mission retardatrice en Algérie qu'elle n'ait achevé
d'abord de coloniser les Français. Nous reculons chaque jour devant la
bagarre mais soyez sûrs que nous ne l'éviterons pas : ils en ont
besoin, les tueurs ; ils vont nous voler dans les plumes et taper dans
le tas.

Ainsi finira le temps des sorciers et des fétiches : il faudra vous
battre ou pourrir dans les camps. C'est le dernier moment de la
dialectique : vous condamnez cette guerre mais n'osez pas encore vous
déclarer solidaires des combattants algériens ; n'ayez crainte,
comptez sur les colons et sur les mercenaires : ils vous feront sauter
le pas. Peut-être, alors, le dos au mur, débriderez-vous enfin cette
violence nouvelle que suscitent en vous de vieux forfaits recuits.
Mais ceci, comme on dit, est une autre histoire. Celle de l'homme. Le
temps s'approche, j'en suis sûr, où nous nous joindrons à ceux qui la
font.

Jean-Paul SARTRE
septembre 1961

[Fanon est mort d'une leucémie le 6 décembre 1961, dans un hôpital aux
Etats-Unis]

http://1libertaire.free.fr/Sartre1961Fanon.html



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