Louise Desrenards on Sun, 8 Dec 2013 01:51:14 +0100 (CET) |
[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]
[Nettime-fr] Pour mémoire |
Note sur Klaus Croissant et son contexte, pour mémoire. Dans la première subdivision de "À l’ombre des majorités silencieuses ou la fin du social", Jean Baudrillard évoque Rocheteau et Klaus Croissant. Le lecteur qui n’a pas vécu cette époque, celle de la présidence de Giscard d’Estaing en France, ou qui était trop jeune pour s’y intéresser, comprend sans doute à lire l’auteur que Rocheteau était un jeune footballeur culte, mais ignore peut-être qui était Klaus Croissant. C’était l’avocat de Ulrike Meinhof et Andreas Baader, fondateurs du groupe activiste allemand de lutte armée Fraction Armée Rouge ; ils avaient été incarcérés dans des conditions particulièrement dures, renouant avec les méthodes de répression des militants politiques sous les nazis. Ulrike Meinhof à quelques jours de son procès attendu (dont par elle-même) avait été retrouvée morte, « pendue » dans sa cellule, en 1976 (après avoir été détenue pendant deux ans dans des conditions physiques considérées comme de la torture par les organisations internationales des droits de l’homme). En 1977, Klaus Croissant fuyant l’Allemagne (où on l’accusait de complicité avec ses clients défendeurs) arriva en France pour demander l’asile politique ; il y fut immédiatement arrêté en vue d’être extradé par le gouvernement français, à la demande du gouvernement allemand. Ce qui provoqua un scandale dans la mesure où pour la première fois au cours de la Ve République c’était rompre avec la tradition d’asile, contre les droits de l’homme annexés à la constitution française, où le devoir d’insoumission face à l’infamie avait été restauré par de Gaulle. C’était en outre livrer Croissant au danger de l’interrogatoire sous la torture ou au risque d’assassinat. Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Félix Guattari et de nombreux autres s’exprimèrent et/ou signèrent contre cette extradition, au point qu’un an après l’exécution du mandat d’extradition le Président fit en sorte d’être confirmé par le Conseil d’État, qui déclara l’affaire forclose en juillet 1978. À l’ombre des majorités silencieuses paraît au cours du second trimestre, donc avant... Klaus Croissant était déjà extradé depuis novembre 1977, même si le 18 octobre Andreas Baader et d’autres membres de Fraction Armée Rouge avaient été retrouvés morts dans leur cellule, probablement assassinés. Ce cas à propos de, et aussi plus généralement, l’activisme armé dans les différents pays d’Europe dont en Italie — et en France à petite échelle, — ainsi que la répression subie ou encourue cadrée par la Guerre froide, sont aussi le contexte qui informe cet ouvrage, publié pendant les années de plomb européennes (mais en Amérique du Sud, dans la plupart des pays depuis le renversement d’Allende les juntes sont déjà ou arrivent au pouvoir, solidaires entre elles, et les agents secrets du plan Condor rôdent en Europe). Jean Baudrillard est concerné par ces questions qui d’autre part impliquent une réflexion sur le terrorisme. Les points de vue sont alors partagés, y compris chez ceux qui soutiennent le radicalisme révolutionnaire activiste, pour autant qu’ils n’en contesteraient pas publiquement des actes, la sécurité des militants étant assumée par le plus large front. Dans l’entretien de la revue Dérive enregistré en 1976 (publié en 1977), que Guy Darol a cité intégralement dans La RdR, Baudrillard évoque un texte de l’activiste situationniste italien Gianfranco Sanguinetti, qui à ce moment là vient d’être traduit par Guy Debord et publié chez Champ Libre : "Véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie" ; Gianfranco Sanguinetti quant à lui, sous-signé la section de Milan de l’Internationale situationniste, tout juste formée en 1969, avait dénoncé à juste titre l’attentat de la Piazza Fontana comme un crime d’État, dès qu’il avait eu lieu. La lutte armée défensive n’était pas vraiment considérée comme du terrorisme par la gauche radicale, tant qu’il ne s’agissait pas d’attentats contre la population. Concernant Klaus Croissant, deux citations édifiantes, d’autant plus qu’elles ne sont pas de Baudrillard, donnent l’aune de sa critique en montage parallèle de l’intérêt du public exclusivement centré sur le football, tandis que l’extradition avait lieu. L’une est de Gilles Deleuze et de Félix Guattari : « Trois choses nous inquiètent immédiatement : la possibilité que beaucoup d’hommes de gauche allemands dans un système organisé de délation, voient leur vie devenir intolérable en Allemagne, et soient forcés de quitter leur pays. Inversement, la possibilité que Me Croissant soit livré, renvoyé en Allemagne où il risque le pire, ou bien, simplement expulsé dans un pays de son « choix » qui ne l’accepterait pas davantage. Enfin, la perspective que l’Europe entière passe sous ce type de contrôle réclamé par l’Allemagne. » (Le pire moyen de faire l’Europe, in Le Monde du 2 novembre 1977, citation reprise en 2003 à propos du fascisme dans le recueil d’entretiens de Gilles Deleuze paru aux éditions de Minuit Deux régimes de fous) ; l’autre est du romancier et dramaturge Pierre Bourgeade : « Je crois que la livraison de Klaus Croissant aux autorités allemandes est l’acte le plus indigne qui ait été commis par la France depuis l’Occupation, où on livrait juifs et communistes à ces mêmes autorités sous le gouvernement de Vichy. Le délectable avilissement devant la dure Allemagne est une constante de la bourgeoisie française, dont la fine fleur, dans son expression la plus féminine se trouve actuellement à l’Élysée. » — concluant sur une allusion au prénom de l’épouse de Giscard d’Estaing : Anémone. (Source des citations wikipedia, mais les informations sur la seconde vie de Croissant ainsi que le jugement sur le contexte y sont partiaux). http://www.larevuedesressources.org/a-l-ombre-des-majorites-silencieuses-ou-la-fin-du-social-double-extrait,2666.html -- ----- _______________________________________________ Nettime-fr mailing list http://www.nettime.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr