nathalie magnan on Mon, 3 Jul 2006 16:44:21 +0200 (CEST)


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Bonjour

un texte à propos de sa majesté Lézard premier
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Musée du Quai Branly : « Ainsi nos œuvres d’art ont droit de cité là où nous
sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour »
par Aminata Traoré


publié le 26/06/2006


http://www.africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=4458

Talents et compétences président donc au tri des candidats africains à
l’immigration en France selon la loi Sarkozy dite de « l’immigration choisie »
qui a été votée en mai 2006 par l’Assemblée nationale française. Le ministre
français de l’Intérieur s’est offert le luxe de venir nous le signifier, en
Afrique, en invitant nos gouvernants à jouer le rôle de geôliers de la «
racaille » dont la France ne veut plus sur son sol.
Au même moment, du fait du verrouillage de l’axe Maroc/Espagne, après les
événements sanglants de Ceuta et Melilla, des candidats africains à
l’émigration clandestine, en majorité jeunes, qui tentent de passer par les
îles Canaries meurent par centaines, dans l’indifférence générale, au large des
côtes mauritaniennes et sénégalaises. L’Europe forteresse, dont la France est
l’une des chevilles ouvrières, déploie, en ce moment, une véritable armada
contre ces quêteurs de passerelles en vue de les éloigner le plus loin possible
de ses frontières.
Les œuvres d’art, qui sont aujourd’hui à l’honneur au Musée du Quai Branly,
appartiennent d’abord et avant tout aux peuples déshérités du Mali, du Bénin,
de la Guinée, du Niger, du Burkina-Faso, du Cameroun, du Congo…Elles
constituent une part substantielle du patrimoine culturel et artistique de ces
« sans visa » dont certains sont morts par balles à Ceuta et Melilla et des «
sans papiers » qui sont quotidiennement traqués au cœur de l’Europe et, quand
ils sont arrêtés, rendus, menottes aux poings à leurs pays d’origine.
Dans ma « Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de
l’Afrique en général », je retiens le Musée du Quai Branly comme l’une des
expressions parfaites de ces contradictions, incohérences et paradoxes de la
France dans ses rapports à l’Afrique. A l’heure où celui-ci ouvre ses portes au
public, je continue de me demander jusqu’où iront les puissants de ce monde dans
l’arrogance et le viol de notre imaginaire. Nous sommes invités, aujourd’hui, à
célébrer avec l’ancienne puissance coloniale une œuvre architecturale,
incontestablement belle, ainsi que notre propre déchéance et la complaisance de
ceux qui, acteurs politiques et institutionnels africains, estiment que nos
biens culturels sont mieux dans les beaux édifices du Nord que sous nos propres
cieux.
Je conteste le fait que l’idée de créer un musée de cette importance puisse
naître, non pas d’un examen rigoureux, critique et partagé des rapports entre
l’Europe et l’Afrique, l’Asie, l’Amérique et l’Océanie dont les pièces sont
originaires, mais de l’amitié d’un Chef d’Etat avec un collectionneur d’œuvre
d’art qu’il a rencontré un jour sur une plage de l’île Maurice.
Les trois cent mille pièces que le Musée du Quai Branly abrite constituent un
véritable trésor de guerre en raison du mode d’acquisition de certaines d’entre
elles et le trafic d’influence auquel celui-ci donne parfois lieu entre la
France et les pays dont elles sont originaires. Je ne sais pas comment les
transactions se sont opérées du temps de François 1er, de Louis XIV et au
XIXième siècle pour les pièces les plus anciennes. Je sais, par contre, qu’en
son temps, Catherine Trautman, à l’époque ministre de la culture de la France
dont j’étais l’homologue malienne, m’avait demandé d’autoriser l’achat pour le
Musée du Quai Branly d’une statuette de Tial appartenant à un collectionneur
belge. De peur de participer au blanchiment d’une œuvre d’art qui serait sortie
frauduleusement de notre pays, j’ai proposé que la France l’achète (pour la
coquette somme de deux cents millions de francs CFA), pour nous la restituer
afin que nous puissions ensuite la lui prêter. Je me suis entendue dire, au
niveau du Comité d’orientation dont j’étais l’un des membres que l’argent du
contribuable français ne pouvait pas être utilisé dans l’acquisition d’une
pièce qui reviendrait au Mali. Exclue à partir de ce moment de la négociation,
j’ai appris par la suite que l’Etat malien, qui n’a pas de compte à rendre à
ses contribuables, a acheté la pièce en question en vue de la prêter au Musée.
Alors, que célèbre-t-on aujourd’hui ? S’agit-il de la sanctuarisation de la
passion que le Président des Français a en partage avec son ami disparu ainsi
que le talent de l’architecte du Musée ou les droits culturels, économiques,
politiques et sociaux des peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie ?
Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond et
douloureux paradoxe à partir du moment où la quasi totalité des Africains, des
Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la créativité sont
célébrés, n’en franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur
l’immigration choisie. Il est vrai que des dispositions sont prises pour que
nous puissions consulter les archives via l’Internet. Nos œuvres ont droit de
cité là où nous sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour.
A l’intention de ceux qui voudraient voir le message politique derrière
l’esthétique, le dialogue des cultures derrière la beauté des œuvres, je crains
que l’on soit loin du compte. Un masque africain sur la place de la République
n’est d’aucune utilité face à la honte et à l’humiliation subies par les
Africains et les autres peuples pillés dans le cadre d’une certaine coopération
au développement.
Bienvenue donc au Musée de l’interpellation qui contribuera - je l’espère - à
édifier les opinions publiques française, africaine et mondiale sur l’une des
manières dont l’Europe continue de se servir et d’asservir d’autres peuples du
monde tout en prétendant le contraire.
Pour terminer je voudrais m’adresser, encore une fois, à ces œuvres de l’esprit
qui sauront intercéder auprès des opinions publiques pour nous.
« Vous nous manquez terriblement. Notre pays, le Mali et l’Afrique tout entière
continuent de subir bien des bouleversements. Aux Dieux des Chrétiens et des
Musulmans qui vous ont contesté votre place dans nos cœurs et vos fonctions
dans nos sociétés s’est ajouté le Dieu argent. Vous devez en savoir quelque
chose au regard des transactions dont certaines nouvelles acquisitions de ce
musée ont été l’objet. Il est le moteur du marché dit ‘’libre’’ et
‘’concurrentiel’’ qui est supposé être le paradis sur Terre alors qu’il n’est
que gouffre pour l’Afrique.
Appauvris, désemparés et manipulés par des dirigeants convertis au dogme du
marché, vos peuples s’en prennent les uns aux autres, s’entretuent ou fuient.
Parfois, ils viennent buter contre le long mur de l’indifférence, dont
Schengen. N’entendez-vous pas, de plus en plus, les lamentations de ceux et
celles qui empruntent la voie terrestre, se perdre dans le Sahara ou se noyer
dans les eaux de la Méditerranée ? N’entendez-vous point les cris de ces
centaines de naufragés dont des femmes enceintes et des enfants en bas âge ?
Si oui, ne restez pas muettes, ne vous sentez pas impuissantes. Soyez la voix de
vos peuples et témoignez pour eux. Rappelez à ceux qui vous veulent tant ici
dans leurs musées et aux citoyens français et européens qui les visitent que
l’annulation totale et immédiate de la dette extérieure de l’Afrique est
primordiale. Dites-leur surtout que libéré de ce fardeau, du dogme du tout
marché qui justifie la tutelle du FMI et de la Banque mondiale, le continent
noir redressera la tête et l’échine (1). »
Aminata Traoré est essayiste et ancienne Ministre, de la culture et du Tourisme
du Mali


1. Aminata TRAORE : Lettre au Président des Français à propos de la Côte
d’Ivoire et de l’Afrique en général, Fayard, 2005.
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