Alexandre Gurita on Mon, 1 May 2006 12:12:22 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] «La force de l'art» n'est pas une farce


«La force de l'art» n'est pas une farce

par Eric de CHASSEY
QUOTIDIEN : jeudi 20 avril 2006

Eric de Chassey historien de l'art, commissaire associé de l'exposition «La force de l'art».

La France est un pays étonnant. Sitôt connu le projet d'une exposition consacrée à l'actualité de la création artistique en France (1), celui-ci s'est trouvé pris sous les feux nourris de la critique, d'autant plus négative qu'elle sait peu ce qui y sera montré et qu'elle n'a pas été associée aux décisions.

Dernier épisode : trois artistes proclament par voie de presse leur refus de participer à ce qu'ils identifient comme «Expo Villepin». Si le premier à avoir pris l'initiative, Gérard Fromanger, présente des arguments politiques qui ont la dignité de la cohérence, les suivants ­ Alain Kirili et Ariane Lopez-Huici ­ se font de la publicité à bon compte : habitués des commandes et des invitations publiques, aperçus depuis des années aux côtés de ministres et Premiers ministres de tous bords, ils n'avaient été retenus cette fois-ci par aucun des commissaires de l'exposition!

On reproche à cette exposition d'être organisée par quinze commissaires au lieu d'un seul. C'est pourtant une expérience originale, dans la mesure où il n'a pas été demandé de mettre en commun des listes d'artistes pour arriver au plus petit dénominateur commun (comme cela avait été le cas pour l'«Expo Pompidou» de 1972, dont il est évidemment tentant de rapprocher celle-ci). Dans cette exposition d'expositions, chaque commissaire invité fait une proposition autonome, et la lecture des oeuvres en sera forcément enrichie (notamment lorsque les mêmes artistes seront présents dans des contextes différents), sans tomber dans une présentation monolithique et officielle.

On reproche à cette exposition son nationalisme, en même temps qu'on se lamente qu'elle ne soit pas un bon moyen pour donner plus de visibilité internationale aux artistes français. Mais la plupart des autres pays n'hésitent pas à organiser des expositions consacrées à leur scène nationale, la plus connue étant la biennale du Whitney aux Etats-Unis. En outre, les sélections d'artistes interprètent souvent avec une grande ouverture la notion de francité, y incluant nombre d'étrangers, dès lors que le propos le demande.

Quant à la visibilité internationale, ce n'est pas en se flagellant par avance qu'on l'assurera et qu'on mettra fin aux préjugés qui règnent et que de nouvelles générations d'artistes ont déjà mis à mal. C'est parce que nous cédons trop facilement aux complexes contraires d'infériorité et de supériorité que ces préjugés sont encore si tenaces ; ils seraient moins forts si nous acceptions, ici comme ailleurs, que la France est depuis longtemps une puissance moyenne.

On reproche enfin aux commissaires et aux artistes qui participeront à l'exposition de servir les intérêts du gouvernement, puisque l'initiative en revient au Premier ministre actuel. Comme si organiser une exposition aujourd'hui, surtout dans un lieu aussi prestigieux et capable d'accueillir tant de visiteurs, ne demandait pas des budgets conséquents. L'époque ne permet plus de se passer de financements; même pour exposer dans des friches, il faut beaucoup d'argent. Aurait-on préféré que cet argent vînt exclusivement des mécènes privés habituels ? On sait comment ce recours exclusif conduit depuis longtemps les musées anglo-saxons, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire, à calquer leur politique d'expositions d'art contemporain sur l'évolution des goûts et des collections de leurs trustees, voire des conseillers de ces derniers. Le financement par l'Etat, c'est normalement la garantie de la liberté intellectuelle et pratique pour tous ­ et je puis témoigner de ce qu!
 e, dans ce cas précis, les commissaires n'ont été soumis à aucune pression, aucune orientation même (ce qu'on traduit par «manque de coordination»).

Cela ne vaut pas approbation d'une politique économique ou sociale. Cela ne vaut même pas, on s'en apercevra lorsque l'exposition ouvrira, approbation d'une conception de l'art (en tout cas pas celle proclamée par le titre «La force de l'art»). L'exposition sera un simple constat à plusieurs voix, ouvrant sur une somme de propositions. N'est-ce pas, pour l'art aussi, ce dont nous avons particulièrement besoin en ce moment ?

(1) Du 9 mai au 25 juin au Grand Palais, Paris VIIIe.

 
 
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