shawarma7 on Mon, 24 Apr 2006 16:27:56 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] témoignage d'une manifestante anti-cpe



Bonjour,

je me permet de vous écrire suite à votre appel à témoin. Ma
cousine a été arrêtée à Paris le 30mars pendant une
manifestation de blocage de la gare de Lyon à Paris. Elle
passe en jugement dans 2 semaines et je ne sais pas trop vers
qui me tourner pour trouver de l'aide. Apres avoir signé et
diffusé massivement la pétition de l'humanité pour l'amnistie,
et fait d'autres démarches, les peines de prison ferme et de
fortes amendes qu'elle risque m'effraient. Ces mesures sont
disproportionnées, et ce serait plutôt à elle de porter
plainte contre les mauvais traitements de la police.

Je vous laisse juger de cette affaire en vous communiquant son
récit.
C'est une jeune étudiante de 20 ans (Censier - Paris III et
Ecole Normale Supérieure) et voici son témoignage.


AU SECOURS, LA POLICE DERAILLE !

Nous, étudiants parisiens qui étions plus de deux mille à bloquer la gare de
Lyon ce jeudi 30 mars, avons tous commis la même erreur : emportés par notre
enthousiasme, nous nous sommes trompés d?un jour et les policiers n?avaient pas
encore l?esprit à la rigolade. Pourtant sur les rails l?ambiance était tout à
fait détendue, malgré les cieux peu cléments, le chef de gare grognon et la
rangée de gendarmes mobiles qui obstruait notre horizon. Alors que les cailloux
et les boulons ne volaient qu?entre les mains des jongleurs, ces trouble-fêtes
décidèrent que la plaisanterie avait assez duré. Le chef de gare tout d?abord,
fort de ses indispensables attributs - casquette et moustache - vint nous
sommer de quitter les lieux ; comme nous n?obtempérions pas assez rapidement à
leur goût, nous vîmes se déployer autour de nous les boucliers de nos amis
gendarmes mobiles. Ils tentèrent de s?en servir pour nous repousser hors des
voies. La stratégie aurait pu fonctionner, mais ils avaient oublié de se mettre
d?accord sur la direction à suivre. Résultat : un panini d?étudiants compressés
entre deux tranches de poulets euh...pardon de gendarmes, et une situation pour
le moins absurde puisque nous nous retrouvions immobilisés par ceux-là même qui
étaient censés nous évacuer. Ceux d?entre eux qui se trouvaient un peu en
retrait par rapport à la cohue ont bien tenté de se faire discrètement entendre
auprès de leurs collègues, mais ils étaient eux-mêmes trop embarrassés pour
proposer une alternative efficace. Tout cela engendra moult bousculades,
piétinements, coups de matraque et bris de lunettes. Même s?il est d?autant
plus difficile de reconnaître ses erreurs qu?on appartient à un corps de
police, ces chers fonctionnaires devraient au moins admettre qu?ils ont eu de
la chance que nous soyons pacifistes ; car quand on pousse de toutes ses forces
à en perdre l?équilibre, il vaut mieux tomber sur quelqu?un de pas trop
rancunier et au milieu d?une foule qui ne tient pas à en découdre par la
violence. A moins que les masques à gaz soient considérés comme des armes ?
J?ai vu un gendarme arracher le sien à l?un d?entre nous ? mesure de précaution
sans doute.
Pour ma part je me trouvais en première ligne, donc particulièrement écrasée par
les boucliers de ces Messieurs. Je suis tombée à plusieurs reprises, je me
prenais pas mal de coups mais je tenais à rester avec les autres, bien que les
gendarmes m?aient invitée à passer de l?autre côté de leur cordon pour « me
mettre à l?abri ». C?est seulement après qu?un coup mal placé eu brisé mes
lunettes que je me suis laissée entraîner derrière eux, parce que je ne voyais
plus rien.. Il était environ 17h30.
Quelques minutes plus tard, je me retrouvais dans un fourgon avec dix autres
personnes ; on prit nos identités, nos sacs, nos téléphones, on nous menotta et
on nous emmena dans le commissariat du XIIIe. On me prit aussi mes lunettes dont
seul un verre manquait. Nous n?étions alors pas encore trop inquiets, puisque
aucun d?entre nous n?avait commis d?autre infraction que celle d?occuper la
gare, et que cette infraction là nous l?avions tous commise ensemble. Nous
avons attendu un long moment dans des bureaux, pendant qu?ils effectuaient un
second contrôle d?identité. Comme le sac poubelle contenant mes affaires se
trouvait à mes pieds, je demandai si je pouvais y prendre un livre. « On ne lit
pas dans un commissariat ! » me fut-il sèchement répondu. Le ton était donné, il
n?était pas question de nous donner de quoi meubler notre attente. L?agent qui
m?interrogeait me demanda ensuite si je voulais voir un avocat, mais comme il
n?était alors pas encore question de garde à vue je lui ai demandé à quoi cela
servirait. Il m?affirma que c?était seulement pour vérifier qu?on me laissait
aller aux toilettes, qu?on me donnait à manger. Je pensais être libérée dans
les heures qui suivaient, j?ai dit que ce n?était pas la peine. Je l?ai bien
regretté, puisque je n?ai pu revenir sur ma décision que 24h plus tard.
Une fois cette formalité accomplie on m?a emmenée vers les cellules ; c?est là
que j?ai compris que nous étions en garde à vue, sans que personne n?ait pris
la peine de nous le préciser. J?ai eu un choc en voyant l?une des filles qui se
trouvait avec moi dans le fourgon derrière une grande vitre de verre, dans une
toute petite cellule d?environ 3m² et au milieu d?un tas de vieilles barquettes
de nourriture ; un instant je me suis vraiment crue au zoo, devant un chimpanzé.
« Quand tu l?auras paluchée, tu pourras la remettre dans la cage ? ». Les «
agents de la force publique » parlaient de nous comme si nous n?étions pas là,
et, déjà à ce moment s?amusaient bien de cette animalisation. Ils racontaient
l?arrestation de Coline comme une bonne blague : au moment de l?évacuation elle
était en train de se faire piétiner par tout le monde quand une main secourable
lui fut tendue. « Venez Mademoiselle, on va vous faire sortir par les quais » ;
du coup elle a cru que le gendarme la draguait, et elle a atterri dans un
fourgon?
 Une femme m?a emmenée pour me fouiller, elle m?a demandé de retirer mes bijoux,
mes lacets, mon soutien-gorge, ce qui restait de mes lunettes, bref tout ce qui
aurait pu m?aider à concrétiser une soudaine envie de me pendre ou de me
trancher les veines. Ensuite ils ont pris mes empreintes, et j?ai posé de face
et de profil pour qu?on me prenne en photo avec mon nom et mon tout nouveau
numéro de matricule entre les mains. On a dû s?y prendre à deux fois, parce
qu?au début je souriais encore et ça ne faisait pas sérieux. Pendant ce temps,
une fille à côté de moi se faisait vertement tancer parce que ses mains étaient
trop crispées pour qu?ils parviennent à prendre ses empreintes correctement : «
Mais détends-toi bon sang, c?est pas possible, ça ! On va jamais réussir à te
palucher si tu continues ! ». Finalement je me suis retrouvée avec quatre
autres filles dans une mini-cellule. Elle empestait l?urine et la sueur. Nous
avons demandé aux « agents de la force publique » pourquoi elle était aussi
sâle ils se sont contentés de rire. Au début nous tâchions encore de
sympathiser avec eux, dans l?espoir qu?ils laissent la porte ouverte quelques
minutes pour aérer ou qu?ils nous donnent une cigarette ; peine perdue
évidemment. L?un d?entre eux semblait  même prendre un malin plaisir à faire
ses pause-cigarettes juste devant notre « cage », en nous regardant avec un
grand sourire. Chaque fois que quelqu?un passait nous lui demandions quand
est-ce que nous allions sortir ; chaque fois ils nous répondaient soit qu?ils
n?en savaient rien, soit que nous serions bientôt dehors. Finalement la nuit
arriva, on pensait encore qu?ils allaient nous relâcher incessamment sous peu ;
une chinoise nous avait rejoints et nous commencions à nous sentir vraiment à
l?étroit. Nous avons passé une partie de la nuit allongées en ligne à même le
sol imbibé d?urine, le nez collé à une fente sous la porte par laquelle
circulait un tout petit peu d?air. Ils sont venus ensuite nous chercher les
unes après les autres : ils ont emmené les deux filles qui étaient mineures au
dépôt car elles n?avaient pas le droit de dormir au commissariat. Notre tour
vint vers deux heures du matin : après qu?on eut fait nos dépositions, ils nous
ont descendues dans une nouvelle cellule, plus grande et plus propre.
Mais comme on ne peut pas tout avoir, les policiers d?en bas - hiérarchiquement
inférieurs à ceux d?en haut, comme il se doit - étaient encore pires que les
autres : ils nous chantaient à tue-tête des slogans anti-cpe en s?esclaffant,
ils nous interdisaient de ramener du papier toilette dans nos cellule pour nous
moucher, ils faisaient semblant d?ouvrir notre cellule pour nous relâcher, ils
ne nous laissaient aller aux toilettes que quand ils jugeaient qu?on les avait
suppliés assez longtemps... Depuis la veille on ne  nous avait toujours pas
donné à manger : notre premier repas fut constitué de deux galettes bretonnes
et d?une brique de jus de fruit, en guise de petit déjeuner le vendredi matin.
Il faisait assez froid dans la cellule. On nous a donné deux couvertures, mais
en nous prévenant : « les mecs qui ont dormi dans ces couvertures, ils avaient
des poux, des puces, ils avaient même la gale ; maintenant vous en faites ce
que vous voulez. ». De toute évidence, notre désarroi leur faisait plaisir,
ainsi ils avaient l?impression d?avoir aussi de l?autorité sur quelqu?un. Par
un moment dans la nuit nous avons eu un fou rire toutes les trois, pour une
raison quelconque ; alors que personne à l?extérieur ne s?était manifestés
depuis plusieurs heures, une voix hargneuse a aussitôt retentit : « Et les
filles, vous vous croyez en colonie de vacances ou quoi ? ».
 Mais globalement nous leur avons plutôt donné satisfaction : quand ils sont
venus nous chercher le vendredi soir- pour de vrai cette fois, et après environ
quatre heures de silence absolu pendant lesquelles nous les avions appelés en
vain pour aller aux toilettes - nous étions toutes les trois au bord de la
crise de nerf... Il était 18 heures, on nous a emmenées au dépôt sur l?île de
la cité sans nous donner au départ plus d?explication. Ils n?en ont pas donné
plus à nos amis qui se relayaient depuis 24h devant le commissariat : à ceux
qui nous avaient vu partir ils ont refusé de dire où on nous emmenait, aux
autres ils ont fait croire que nous nous trouvions toujours dans le
commissariat.
Ils nous ont fait signer plusieurs papiers, ils ne voulaient même pas nous
laisser les lire : « je croyais que tu voulais sortir rapidement ! tu n?as pas
perdu assez de temps en cellule ? Ne viens pas te plaindre après que tu es
restée ici trop longtemps ! ».
 Je suis arrivée au dépôt dans un piètre état : je ne pouvais pas m?arrêter de
pleurer, j?avais vraiment l?impression de toucher le fond ; je suppliai tous
les gens que je voyais de me rendre mes lunettes, parce que depuis le début
j?étais incapable de distinguer les visages des gens autour de moi. Finalement
deux femmes sont venues me chercher pour m?emmener dans une petite pièce où
elles m?ont demandé de me déshabiller entièrement, de me baisser...Il y avait
des gens qui entraient, qui sortaient, je ne pouvais pas les voir j?ai cru que
j?allais vraiment devenir folle.
Heureusement, au dépôt les cellules étaient beaucoup plus confortables : une
pour deux, avec une « cuvette » entre les deux lits. Les bonnes s?urs qui s?en
occupaient s?appliquaient à les rendre aussi viables que possible. J?ai pu
retrouver mon calme, et discuter un peu avec C., qui partageait ma cellule.
Elle aussi semblait vraiment ébranlée. Alors qu?elle était arrivée la veille
d?humeur tellement joyeuse que les « agents de la force publique » eux-mêmes en
avaient été ébahis, qu?elle avait passé toutes les premières heures à flirter
avec les CRS, qu?au début elle s?amusait tant à chanter et à rire avec une de
ses copines qui se trouvait également avec nous que nous aurions toutes tout
donné pour la faire taire, C., qui semblait au départ inoxydable, était
maintenant tout à fait éteinte. Dans cette nouvelle cellule adoucie par les
lits et l?attention des bonnes s?urs, nous avons fait ensemble le point sur les
dernières 24h et C. les a résumées ainsi : « Maintenant, je comprends pourquoi
ils nous ont pris nos lacets et nos soutiens-gorge. Sans vouloir vraiment me
tuer, j?aurais fait n?importe quoi pour sortir de là. ».
J?ai pu voir mon avocat vers 1H du matin.
Le lendemain samedi 1er Avril, vers midi, nous avons vu le procureur, tour à
tour. Ils nous a annoncé que nous ne passerions pas en comparution immédiate,
et nous a donné les dates de nos différents procès, tous début mai. Tous pour
le même motif : ENTRAVE A LA MISE EN MARCHE OU A LA CIRCULATION D?UN VEHICULE
DE CHEMIN DE FER, PARTICIPATION SANS ARME A UN ATTROUPEMENT APRES SOMMATION DE
SE DISPERSER.
Nous avons ensuite été « relâchées » et avons retrouvé nos amis qui nous
attendaient toujours.

Si ce témoignage vous choque autant que moi, j'espère que vous
comprendrez aussi mes craintes par rapport au jugement compte
tenu des mesures dissuasives mises en places par le gouvernement.
S'il vous était possible de me communiquer tous les éléments
d'association, d'aide, ou même de moyens de diffusion massive
de ce témoignage, svp je vous en serai très reconnaissante.

Cordialement

Lé0nore
 
 
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