Ewen Chardronnet on Mon, 28 Mar 2005 16:40:02 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] yes men in Libé




Andy Bichlbaum, 41 ans, Américain. Altermondialiste doté d'humour, il 
pousse à bout la logique absurde des décideurs du marché, à coups de 
canulars médiatiques.
Branque mondial
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Par Florent LATRIVE et Christian LOSSON
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lundi 28 mars 2005
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du brouillage culturel pour quitter les rives du bidouillage 
contestataire. C'est le credo de ce néobouffon qui, à coups de canulars 
médiatiques, se fait passer pour un apôtre du libre marché. On l'a donc 
aperçu sous le nom d'Andreas Bichlbauer à une réunion de l'Organisation 
mondiale du commerce (OMC) à Salzbourg, en train de prêcher l'achat de 
vote ou de saluer le bilan économique de Hitler ; sous les bravos 
d'hommes d'affaires. Il a pu aussi annoncer devant une assemblée 
d'experts-comptables la dissolution de l'OMC. Ou prôner devant des 
étudiants australiens le recyclage des déjections pour faire des 
hamburgers africains. Ou traiter Gandhi, face à un aréopage d'hommes 
d'affaires, d'/«idiot protectionniste»/. Plus l'hameçon est gros, plus 
la pêche aux gogos fait des ravages.

Ces temps-ci, c'est sous le nom d'Andy Bichlbaum qu'il se présente, 
histoire d'assurer la promo d'un film et d'un livre sur les happenings 
politiques des Yes Men, le collectif d'activistes qu'il forme avec Mike 
Bonnano, lui aussi américain. De son studio du Xe arrondissement 
parisien, Andy raconte son credo : la /«correction d'identité»/. Se 
glisser dans le costume de ses cibles pour outrer leurs discours et user 
des médias pour les ridiculiser. Sans verser dans l'analyse théorique. 
/«Je ne théorise pas,/ élude Andy. /Il y a des choses très concrètes 
contre lesquelles je veux militer, mais je n'ai pas de vision globale.» 
/Les jeux de miroirs déformants qu'ils renvoient aux apôtres de la 
mondialisation se suffisent à eux-mêmes. S'inventer des personnages, se 
frotter à la schizophrénie, Andy s'y est essayé très tôt. Ado, à Tucson, 
dans l'Arizona, il raconte /«n'importe quoi», /pour voir /«jusqu'où» /il 
peut «/aller»/. A 13 ans, il se retrouve ainsi pendant deux semaines à 
jouer le rôle de petit-fils de l'ayatollah Khomeiny,/ «parce que les 
gens [le] croyaient»/. Ses racines ? Famille d'origine juive, 
grands-parents fuyant la Pologne d'avant-guerre, parents déboulant aux 
Etats-Unis via le Canada. «Mondialisé» avant l'heure, internationaliste 
par nature, Andy Bichlbaum a toujours baigné dans la contre-culture, le 
bouillonnement minoritaire. A 28 ans, il débarque à San Francisco dans 
/«la communauté gay»/ ­ la sienne ­ et l'activisme antisida. Là, se 
réinvente /«l'esprit des années 70»,/ dit Andy. «/On n'avait pas besoin 
d'être triste tout le temps, même si les sujets étaient graves.»/ 
Premier boulot, premier faux : un CV bidonné pour attraper un boulot 
d'informaticien. Préférable quand, comme lui, on a étudié la musique, 
l'acadien et les sciences... Cela durera trois mois. /«J'en pouvais 
plus»,/ dit-il. L'intermittence tient du mode de vie. Il alterne les 
périodes de boulot, /«trois mois par an en moyenne»/. A Paris, à New 
York. A l'occasion, il sera embauché chez Maxxis, la firme à l'origine 
des jeux vidéo cultes SimCity et, maintenant, The Sims. Censé plancher 
sur une simulation de guerre, il torpille le jeu. Les virils soldats se 
roulent des pelles, avec drag-queens pour égayer l'écran. Scandale 
interne, il est viré. Mais des micros lui sont tendus : /«J'ai dû 
inventer, trouver une rationalisation.»/ Il justifie, dénonce le 
machisme du jeu, transforme sa bidouille de potache en acte 
politico-subversif. /«Je donnais une interview, et je me suis dit : 
"Pourquoi ne pas le faire exprès, choisir sa cible, pondre des 
communiqués de presse ?"» /

Sa rencontre avec Mike Bonnano, son alter ego des Yes Men, le met sur 
les rails de la double vie. Mike, lui, avait déjà joué au Barbie 
Liberation Front depuis trois ans. Troquant la voix de la poupée platine 
par celle, plus rocailleuse, de GI Joe, avant de les refourguer dans des 
grands magasins de jouets. Mike et Andy partagent le même goût pour 
l'activisme borderline et le happening déjanté. Et la langue de boeuf. 
Dix jours avant le sommet de Seattle, ils mettent en ligne un faux site 
de l'OMC. Un faux site web tout comme le vrai, vilipendé par 
l'institution symbole de la mondialisation. Un piège à gogos, surtout : 
grugés par ce site, journalistes et organisateurs de colloques 
sollicitent l'intervention d'huiles de l'institution. Ils voient 
débouler un Andy grimé et, surtout, crédible. Faux airs d'ado dans le 
civil, avec sac à dos et cheveux flous, l'homme porte le costume gris 
muraille comme un vrai /top executive/ de multinationale.

Ravageur, l'activisme des Yes Men est surtout poilant. De la France, où 
il passe beaucoup de temps, Andy se dit /«surpris»/ par le /«sérieux»/ 
des militants. Comme la plupart des «artivistes» anglo-saxons qui mixent 
art et activisme, il recycle situationnisme et surréalisme. /«Les 
néoradicaux y ajoutent la frivolité tactique, l'esprit carnavalesque», 
/indique John Jordan, un des théoriciens de la /«réinvention des 
résistances»/. Inimportable en France. La déconnade politique et 
l'agit-prop ludique y sont très marginales. Les situs ont privilégié le 
sectarisme hystéro sur les aspects les plus /arty/ de leur mouvement ; 
les plus barrés des soixante-huitards ont recyclé leurs débordements 
dans la section /global leaders. «En France, la contestation fait partie 
de l'espace public, aux Etats-Unis, elle est underground»,/ résume 
Christophe Aguiton, habitué des mouvements sociaux. En France, la gauche 
radicale comme la culture sont plus ou moins institutionnalisées. Hugues 
Jallon, l'éditeur des Yes Men : /«On a un militantisme un peu sérieux. 
La LCR ou Attac, c'est pas des rigolos. Du coup, les Yes Men se sont 
rapprochés de Karl Zéro, mais ils ont un peu de mal à le cerner. J'ai dû 
leur expliquer le concept d'anar de droite...» /Pas sûr que la greffe 
prenne.

Les Yes Men ont un rapport décomplexé aux médias, avec lesquels ils ont/ 
«une collaboration plus qu'une instrumentalisation»/, dit Andy. Le 
succès des canulars des Yes Men repose sur leur capacité à jouer des 
médias pour leur donner une résonance mondiale. Quand la BBC balance sur 
les ondes l'interview d'Andy, faux porte-parole de Dow, endossant la 
responsabilité de la catastrophe de Bhopal (Inde), et accepte de faire 
un chèque de 12 millions de dollars, c'est un déluge de dépêches sur 
tous les écrans du monde. Avant que la firme ne démente deux heures plus 
tard. /«Entre-temps, on a donné de faux espoirs aux victimes de 
Bhopal»/, reconnaît Andy, "culpabilisé". Avant de se reprendre : /«Mais 
moins que vingt ans d'attente.» /Du coup, avec la presse, Andy Bichlbaum 
se veut pragmatique /(«L'humour est la seule façon de faire entrer 
quelque chose dans les médias américains»),/ féroce sur le montage 
capitalistique des médias /(«Il suffit de regarder qui possède quoi»)/ 
et parfois naïf avec les journalistes /(«Souvent dupes des politiques ou 
des entreprises, mais ils n'ont souvent pas les moyens de faire 
mieux»)./ Leur film-livre fait grincer des puristes de la contestation 
radicale, qui dénoncent /«la perversité»/ de mettre dans le commerce des 
histoires de manip médiatiques. C'est qu'il faut vivre entre deux 
supercheries... Et puis, avec les médias, les Yes Men mentent beaucoup. 
Sur la table d'Andy, on aperçoit un courrier administratif qui porte un 
nom inconnu. Le même que sur son passeport, finit-il par montrer. Andy 
Bichlbaum ne s'appelle pas vraiment Andy Bichlbaum. Condamné à 
l'imposture à perpétuité.

photo FREDERIC STUCIN

 
 
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