jmm on Tue, 13 Jul 2004 13:37:12 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] A qui profite la CNIL ?



A qui profite la CNIL ?	<http://www.vie-privee.org/comm301>

La nouvelle loi "informatique et libertés" dénie ce pour quoi elle avait
initialement été adoptée. Créée pour protéger les citoyens face à la
toute-puissance des fichiers d'Etat, elle opère un profond renversement de
perspectives, libéralise le fichage administratif généralisé, et couvre
les dérives "hors-la-loi" des fichiers policiers. Ce que Jacques Chirac
avait tenté de mettre en place en 1974, et que la loi "informatique et
libertés" avait alors encadré, se retrouve aujourd'hui, sous la présidence
du même Jacques Chirac, sanctuarisé.

Paris, le 13 juillet 2004 - Communiqué de presse de la Fédération
Informatique et Libertés (FIL - http://www.vie-privee.org)

La loi "informatique et libertés" fera l'objet, ce 15 juillet, d'une
substantielle mise à jour, mais aussi d'un profond renversement de
perspectives. Créée pour protéger les citoyens face à la toute-puissance
des fichiers d'Etat, elle libéralise le fichage généralisé, et couvre les
dérives "hors-la-loi" des fichiers policiers.

SAFARI, à l'origine de la CNIL

21 mars 1974 : la révélation par le quotidien le Monde du projet SAFARI
fait scandale. Les services de Jacques Chirac, alors ministre de
l'intérieur [1], veulent en effet instituer un identifiant unique pour
interconnecter les données de cent millions de fiches, réparties dans
quatre cent fichiers, au sein d'un "Système Automatisé pour les Fichiers
Administratifs et le Répertoire des Individus" (SAFARI) [2].

Le scandale est tel que le gouvernement crée une "Commission Informatique
et Libertés", qui débouche en 1978 sur la loi du même nom, et donc la CNIL
: le souvenir de l'utilisation de ce genre de fichiers du temps de la
Collaboration est tel qu'il est hors de question de laisser l'Etat mettre
en place un tel fichage généralisé de la population.

La loi s'applique principalement aux traitements mis en place par l'Etat,
qui ne peuvent être mis en place que suite au vote d'une loi ou par acte
réglementaire, et autorisation de la CNIL, les autres traitements -privés-
étant soumis à une procédure de déclaration.

Le nouveau projet de loi

15 juillet 2004 : le gouvernement, activement soutenu par le président de
la CNIL [3], entend faire adopter une refonte de cette loi relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés [4]. Entre autres choses, le
projet de loi vise à éxonérer l'Etat de tout risque de sanction, à
libéraliser la création des fichiers portant sur l'ensemble de la
population (tels que la carte électronique d'identité ou les traitements
relatifs à l'administration
électronique), mais aussi à protéger les fichiers policiers (existants et
futurs), et à couvrir le fait que nombre d'entre-eux sont d'ores et déjà
"hors-la-loi".

Officiellement, le nouveau projet de loi vise à transposer une directive
européenne datant de 1995 et que la France aurait du transposer depuis
1998 -c'est même le dernier pays de l'Union à le faire. La directive
européenne ne prévoit, cela dit, aucune exemption pour ce qui est des
fichiers d'Etat, et ne vise aucunement à couvrir les dérives des fichiers
policiers.

Non contente d'être, depuis des années, dans l'illégalité tant par rapport
aux règlements européens que face à la loi informatique et libertés, la
France décide ainsi de rendre possible ce que la loi de 1978 cherchait
précisément à empêcher.

Jacques Chirac l'avait rêvé (en 1974), il l'instaure (en 2004)

La principale critique apportée jusque-là à la refonte de la loi
informatique et libertés, telle qu'elle avait été préparée par le
précédent gouvernement socialiste, portait sur le fait que les fichiers
policiers ne devraient plus être soumis à autorisation de la CNIL, comme
la loi de 78 le prévoyait [5], et alors même que lesdits fichiers sont
réputés être, non seulement truffés d'erreurs, mais aussi "hors la loi"
[6]. Jacques Chirac l'avait rêvé (en 1974), il l'instaure (en 2004).

La lecture du rapport [7] d'Alex Türk, sénateur, rapporteur de la loi et
président de la CNIL depuis février dernier, est à ce titre édifiante. Il
rappelle ainsi que :

- le Sénat a -sous son impulsion personnelle [8]- "autorisé les
entreprises à constituer des traitements sur les infractions dont elles
ont été victimes", afin de légaliser les "fichiers de suspects" créés par
les sociétés privées ;

- mais qu'il a aussi "supprimé la possibilité de permettre à la CNIL
d'ordonner la destruction de traitements" en infraction avec la loi ;

- ainsi que "l'exigence d'une autorisation de la CNIL pour les traitements
portant sur la totalité ou de la quasi-totalité de la population, le
critère quantitatif n'apparaissant pas pertinent pour apprécier la
dangerosité d'un traitement" ;

- l'Assemblée, de son côté, a "modulé les pouvoirs de verrouillage de la
CNIL" afin de lui retirer la possibilité de bloquer les fichiers policiers
ou ceux qui, mis en oeuvre par l'Etat, font appel au NIR (ou n° de
sécurité sociale (cf [9]), quand bien même il y ait
"urgence (ou) menaces pour les libertés", et alors que c'est précisément
le spectre d'une mauvaise utilisation de ces fichiers qui avait entraîné
le scandale ayant débouché sur l'adoption de la loi informatique et
libertés ;

- l'Assemblée a aussi retiré à la CNIL ses pouvoirs de sanction dès lors
que c'est l'Etat qui serait pris en flagrant délit d'infraction ;

- afin de "revoir les procédures applicables aux traitements publics"
[10], elle a aussi retiré à la CNIL le fait d'autoriser, ou non, "les
traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte
de l'Etat et portant sur des données biométriques nécessaires à
l'authentification et au contrôle de l'identité des personnes", et donc la
future carte d'identité biométrique ;

- ainsi que "les traitements tendant à (...) faciliter le développement de
l'administration électronique" et ayant recours au NIR, alors même que
ceux-ci, à commencer par le "dossier médical partagé" [11] régenteront
tout ou presque de nos rapports à l'administration ;

- le gouvernement a également fait adopter, à l'Assemblée, un amendement
retirant à la CNIL ses "pouvoirs de contrôle sur place et sur pièce" des
"traitements intéressant la sûreté de l'Etat (en pratique les fichiers les
plus sensibles de la DST et de la DGSE)"... "à la demande de services de
renseignements étrangers" (sic) ;

- de même, le gouvernement a aussi rajouté à la loi le fait que "les
données (gérées) par les services de police et de gendarmerie nationales
puissent être transmises à des organismes de coopération internationale en
matière de police judiciaire ou à des services
de police étrangers présentant un niveau de protection suffisant de la vie
privée et des droits fondamentaux";

- enfin, l'Assemblée a aussi différé de 2007 à 2010 la "mise en conformité
(...) des traitements non automatisés de données à caractère personnel
intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique", et
donc le fait qu'ils s'avèrent "adéquats, pertinents, exacts, complets et,
si nécessaire, mis à jour".

Une "collaboration" sans faille du président de la CNIL

"Au nom de la commission des lois", Alex Türk qui, "élu tout nouveau
président de la Cnil la veille de la remise des prix, avait échappé de
justesse à la récompense suprême" des Big  Brother Awards 2003 [12], fort
de sa double casquette de rapporteur du projet de loi au Sénat et de
président de l'"autorité administrative indépendante de protection de la
vie privée et des libertés individuelles ou publiques", "se réjouit de
voir s'achever le processus d'examen parlementaire", et "propose d?adopter
le projet de loi sans
modification" [13].

La Fédération Informatique et Libertés estime pour sa part qu'il s'agit là
d'un renversement total de perspectives de la loi "informatique et
libertés". Ce que Jacques Chirac avait tenté de mettre en place en 1974,
et que ladite loi avait tenté d'encadrer suite au scandale du projet
SAFARI, se retrouve aujourd'hui, sous la présidence du même Jacques
Chirac, durablement légalisé.

Pire : non content de libéraliser la création des fichiers "portant sur la
totalité de la population", la refonte de cette loi -censée adapter la
protection de la vie privée à l'évolution de l'informatique et des
libertés- couvre sciemment les fichiers policiers, alors même qu'ils sont,
non seulement "hors la loi", mais aussi truffés d'erreurs. Ce qui ne peut,
décemment, être considéré comme profitable aux forces de l'ordre, et
encore moins à la
démocratie.		

Notes :

[1] Jacques Chirac, ministre de l'intérieur de février à mai 1974
http://www.interieur.gouv.fr/rubriques/c/c2_le_ministere/c24_histoire/ministres_5e/chirac

[2] Chronologie des principaux textes sur la protection des données
personnelles
http://www.clifti.org/dossiers/trans-l78/historic.htm

[3] Une loi dont l'Etat se fiche pas mal, in Le Canard Enchaîné du 7
juillet 2004
http://www.bugbrother.com/breve38.html

[4] Loi 78-17 et transposition de la directive 95/46
http://www.cnil.fr/index.php?id=1351

[5] cf L'ombre du fichier Stic plane sur la réforme de la Cnil &
Informatique, fichiers, libertés et souveraineté ne font plus bon ménage
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,2091559,00.htm
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,2103605,00.htm

[6] cf RenseignementsGeneraux.net
http://renseignementsgeneraux.net

[7] Projet de loi relatif à la protection des personnes physiques à
l'égard des
traitements de données à caractère personnel
http://www.senat.fr/rap/l03-367/l03-367.html

[8] ce qui lui avait d'ailleurs valu une nomination aux Big Brother
Awards, d'autant qu'il pronaît également l'interconnexion des fichiers "de
suspects" STIC (police) et JUDEX (gendarmerie), quand bien même ils
étaient -et sont encore-, de son propre aveu, "aux marges de la loi", pour
ne pas dire illégaux
http://nomines.bigbrotherawards.eu.org/index.php?de=1&&id=110

[9] Interconnexion de fichiers et numéro de Sécurité sociale (NIR)
http://www.delis.sgdg.org/menu/nir/nir.htm

[10] Revoir les procédures applicables aux traitements publics
http://www.senat.fr/rap/l03-367/l03-367_mono.html#toc65

[11] cf le dossier du collectif Droits Et Libertés face à
l'Informatisation de la Société
http://www.delis.sgdg.org/

[12] Big Brother Awards France 2003 : le palmarès
http://www.bigbrotherawards.eu.org/2003/presse.html

[13] LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ADOPTER LE PROJET DE
LOI SANS MODIFICATION
http://www.senat.fr/rap/l03-367/l03-367_mono.html#toc71


 
 
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