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Le FBI traque même les expériences artistiques

Steve Kurtz, professeur d'université à Buffalo, est soupçonné de bioterrorisme et menacé de poursuites.

Par Fabrice ROUSSELOT
mardi 15 juin 2004 (Liberation - 06:00)


c'est une étrange histoire dans l'Amérique de l'après 11 septembre 2001. Le 11 mai, Steve Kurtz, professeur du département artistique de l'Université de New York à Buffalo, se réveille chez lui et découvre avec horreur sa femme sans vie, à ses côtés, décédée dans la nuit d'un arrêt cardiaque. Paniqué, il compose le 911 des urgences sur son téléphone. La police et les ambulanciers se rendent sur les lieux. Là, tout va prendre une tournure des plus bizarre...



Kurtz, 48 ans, est l'un des fondateurs du Critical Art Ensemble, collectif d'artistes qui prône la désobéissance civile à travers les médias et l'électronique et qui s'est notamment donné pour mission «d'éduquer l'opinion publique» sur les dangers de la biotechnologie. Chez lui se trouve un mini laboratoire, avec différents produits et «une machine à extraire l'ADN», utile pour tester les aliments génétiquement modifiés. La machine attend d'être montrée dans une exposition, au Massachussets. La police, affolée, contacte la branche antiterrorisme du FBI à Buffalo. En quelques minutes, la maison est isolée. Deux jours durant, des hommes en combinaison masquée la fouillent de fond en comble, confisquant les ordinateurs.

«Laboratoire». Steve Kurtz est menacé d'inculpation. Suite à l'enquête du FBI, le bureau du procureur général du district ouest de New York a décidé de convoquer trois membres du Critical Art Ensemble devant un grand jury, en arguant de la section 175 de la loi antiterrorisme de 1989, devenu le «USA Patriot Act» depuis les attentats du 11 septembre, et qui «interdit la possession de tout agent biologique ou de toxine». Le grand jury doit aujourd'hui commencer les auditions pour décider ou non d'entamer des poursuites contre Kurtz. Une manifestation de soutien est prévue sur place à Buffalo.

«La réaction des autorités est excessive, et rien de tout cela ne grandit l'image de l'Amérique aux yeux du monde, s'indigne Paul Cambria, avocat de Steve Kurtz. Mon client, comme tous les artistes qui s'intéressent à la biotechnologie, travaille souvent en laboratoire avec diverses substances. C'est un artiste, il n'a évidemment aucune activité terroriste. Tout cela est ridicule.»

Depuis quelques semaines, «l'affaire Kurtz» agite la communauté artistique universitaire aux Etats-Unis, qui a monté une campagne sur l'Internet pour le soutenir. Le professeur s'est notamment plaint, par la voix de son avocat, d'avoir été détenu et interrogé pendant deux jours dans un hôtel par le FBI. «Ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé assure Paul Moskal, du bureau du FBI à Buffalo. Nous avons gardé monsieur Kurtz dans un hôtel car sa maison était interdite d'accès. Nous avons suivi à la lettre les procédures en place depuis le 11 septembre, tout simplement car son domicile pouvait représenter un danger pour la santé publique. Quand elle pressent une situation suspecte, la police se doit de contacter le FBI, qui mène son enquête. Ensuite, c'est le procureur général qui décide de poursuivre la procédure.» Contacté par Libération, le bureau du procureur général à Buffalo s'est contenté de dire «qu'il ne faisait aucun commentaire sur une affaire en cours».

Livres. «Nous sommes confrontés là à un débat capital sur la liberté d'expression des artistes», analyse Beatriz da Costa, professeur à l'université de Californie, convoquée devant le grand jury à Buffalo en tant que membre du Critical Art Ensemble. «Même si le FBI a refusé de préciser quelles substances ont été trouvées lors de la perquisition, je sais que Steve Kurtz travaillait avec de la bactérie E. Coli (1). Est-ce à dire que tout cela va désormais être interdit par l'administration ?»

Selon l'avocat de Steve Kurtz, les autorités seraient en train de chercher tous les livres écrits par son client critiquant le gouvernement, «afin de démontrer qu'il est impliqué dans des activités subversives». Beatriz da Costa a répondu au FBI sur le passé de son pair et ses écrits. Kurtz, lui, préfère ne pas parler à la presse depuis le début. Il a toutefois récemment confié à ses proches qu'il se sentait «déprimé» et n'arrivait toujours pas à croire le «cauchemar» qui est le sien.
(1) Bactérie de la flore intestinale, impliquée dans la digestion et souvent utilisée dans les manipulations génétiques.

 
 
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