Aris on Sun, 21 Dec 2003 17:42:25 +0100 (CET)


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[nettime-fr] Alerte - L'Internet déclare zone de non-justice


L'Internet déclaré zone de non-justice

Le projet de loi pour la « confiance » dans l'économie numérique, passe 
en deuxième lecture à l'Assemblée Nationale : Le projet de Nicole 
Fontaine entend toujours privatiser la justice du Net, en imposant aux 
intermédiaires techniques de jouer le rôle de juges/censeurs de 
proximité, et filtrer les frontières de l'Internet français.

Clairement, en l'état, le texte issu du Sénat porte gravement atteinte à 
la liberté d'expression des internautes, à leur liberté d'information, 
et nie le droit fondamental d'accéder à une justice indépendante et 
impartiale !

La Ligue des Assos Haut Débit invite tous les internautes à interpeller 
leurs députés afin de leur faire prendre conscience qu'au moins deux 
points clefs du projet de loi de Nicole Fontaine sont contraires tant 
aux valeurs républicaines qu'aux principes fondamentaux du droit. En 
effet, les articles 43-8 et 43-9 de ce projet instaureraient une justice 
privée sur le Net en imposant aux intermédiaires techniques de se 
substituer à l'autorité judiciaire, et l'article 43-12 ferait de la 
France le seul pays occidental à imposer un filtrage du Net à ses 
frontières, comme cela se fait par exemple en Chine populaire...

Point clef 1 : Privatisation de la justice numérique :

Les Articles 43-8 et 43-9, même modifiés par le Sénat, au but apparent 
d'engagement de la responsabilité des « hébergeurs » (?) que l'on 
considèrererait comme des complices, imposent en réalité et en pratique 
à ces intermédiaires techniques le devoir de se substituer au juge, et 
d'appliquer les peines, en l'occurrence la censure, qui plus est avec 
promptitude, avant toute décision de justice établissant l'illicéité 
d'un contenu.

Ils deviendraient donc, le cas échéant, coupables de ne pas s'être 
substitués à l'autorité judiciaire.

Que chacun, dans une société responsable, soit amené à se forger une 
opinion de ce qui est illicite ou non, et décide, au besoin, de 
s'adresser à l'autorité idoine : Rien de plus normal et souhaitable.
En revanche, on n'a jamais vu en France que quiconque puisse se 
substituer à l'autorité judiciaire, juger, et appliquer une peine en son 
lieu et place : Or, on peut toujours se voiler la face, mais il n'en 
restera pas moins que c'est -en réalité et en pratique- très exactement 
ce qu'exigent des hébergeurs les articles 43-8 et 43-9 du projet de loi 
de Nicole Fontaine.

Les internautes français se verraient donc jugés et censurés de façon 
expéditive par des groupes privés.

Gênés par l'évidente censure généralisée à laquelle ce texte ouvre la 
porte, les sénateurs ont adopté un nouvel article 43-9-1 instituant une 
infraction pénale : celle de présenter une information comme illicite 
pour en demander le retrait, c'est à dire de se substituer au juge en 
affirmant l'illicéité d'un contenu pour le faire censurer.

On a donc, dans le même texte, des articles immédiatement connexes 
rendant les uns coupables de ne pas s'être substitués à l'autorité 
judiciaire, et les autres coupables de s'être substitués à l'autorité 
judiciaire.

Point clef 2 : Filtrage aux frontières (une ligne Maginot numérique) :

L'article 43-12 quant à lui, dit en substance que l'autorité judiciaire 
peut demander aux fournisseurs d'accès et aux « hébergeurs » (?) de 
supprimer un contenu s'il est hébergé en France, et de le filtrer s'il 
est situé à l'étranger.

Si la suppression d'un contenu hébergé en France ne pose aucun problème 
particulier, il n'en va pas de même pour le filtrage des contenus 
hébergés à l'étranger :

Outre que l'adoption de cette mesure constituerait un choix politique 
unique dans le monde occidental, le législateur doit savoir que la 
réalité technique est que cela ne marche pas. On pourra par exemple 
consulter à ce sujet l'étude complète de l'expert J.R Lemaire, qui 
explique que pour la tentative de filtrage d'un site (qui pourra au 
demeurant être déplacé ailleurs dans la seconde qui suit, et ce autant 
de fois que nécessaire) c'est jusqu'à des centaines de milliers de sites 
-eux parfaitement légaux- qui deviendraient inaccessibles aux 
internautes français.

Par ailleurs, l'implémentation de ces techniques de filtrage inefficaces 
imposerait un profond remaniement de l'architecture technique des 
fournisseurs d'accès, dont le coût important serait nécessairement 
répercuté sur le prix des abonnements.

Enfin, une décision judiciaire étant publique, ce serait l'autorité 
judiciaire elle-même qui ferait de la publicité pour des sites illicites 
alors même que du fait de l'inefficacité du filtrage le site incriminé 
serait toujours accessible.

En résumé, ce filtrage serait : dévastateur, coûteux, et inefficace.

Si aucun pays occidental n'a retenu une telle mesure, c'est en 
particulier parce qu'elle est totalement inefficace : Qu'on nous 
explique en quoi la France ferait exception ? Parce qu'on a réussi à 
arrêter le nuage de Tchernobyl ?
Dominique Perben n'a toujours pas répondu à la question qui lui a été 
posée publiquement par les fournisseurs d'accès français le 27 février 
2003 quant à la faisabilité de ce filtrage.

Comment justifier la demande d'instauration d'une procédure _inefficace_ 
et coûteuse, là où la réalité pratique est qu'il est nécessaire et 
urgent, pour avoir un _minimum_ d'efficacité, de développer une 
coopération internationale seule à même de supprimer en particulier les 
contenus pédopornographiques et faire poursuivre leurs auteurs et 
éditeurs ?

L'unanimité des acteurs contre ce projet de loi :

Dès la publication du projet de Loi, de très nombreux acteurs du Net 
français et de la société civile ont protesté contre la privatisation de 
la justice numérique, le filtrage, ou la tentative de mise sous la 
tutelle du CSA : que ce soient les FAI par le biais de l'AFA, les 
hébergeurs, les hébergeurs de Forums, des magistrats, des syndicats et 
des ONG. La société civile a apporté un très large soutien aux actions 
de protestations initiées par la Ligue Odebi, la Fédération 
Informatiques et Libertés, et l'association Iris. C'est par 
_dizaines_de_milliers_ que les internautes ont ainsi signé des pétitions 
contre le texte de Nicole Fontaine. Face à ce rejet général, Nicole 
Fontaine peut-elle citer au parlement _un_ acteur qui lui soit favorable 
? Lequel ?

Le député UDF Dionis (qui connaît bien la réalité du Net, voire 
certaines de ses subtilités) recevait en commission de très nombreux 
acteurs, et proposait des amendements tendant à rendre le texte 
acceptable. Claudie Haigneré, Ministre des Nouvelles Technologies, 
intervenait publiquement dans le même sens : « Nous devons à nos 
concitoyens une plus grande clarté sur le caractère des contenus 
répréhensibles, en distinguant les contenus manifestement illicites, 
tels que la pédophilie, l'apologie des crimes contre l'humanité, 
l'incitation à la haine raciale, et les contenus dont le caractère 
illicite est confirmé par décision de justice. » Les amendements Dionis 
allaient dans ce sens... Nicole Fontaine les a fait retirer.
Au sénat, en première lecture, le sénateur PS Weber déclarait : « à qui 
revient le rôle de juger de la licéité d'un contenu, d'un texte, d'une 
image ? Dans notre loi traditionnelle, ce rôle est dévolu au juge, 
garant de nos libertés publiques »
Lors de la même séance, le sénateur UMP Trégouët, qui est sans aucun 
doute l'un des parlementaires ayant la connaissance la plus approfondie 
du Net, intervenait pour dénoncer la privatisation de la justice et le « 
flicage » en ligne prévus par le projet de Nicole Fontaine. Sa 
perspicacité, la profondeur de son analyse, et la prospective qu'il 
présentait suscitaient d'ailleurs les louanges unanimes de ses pairs. Il 
affirmait ainsi on ne peut plus clairement : « les internautes n'ont pas 
à être jugés et censurés par des groupes privés »
Et Daniel Raoul d'exprimer ses doutes : « [...] je me pose un certain 
nombre de questions, et les interventions de MM.Trégouët et de Ralite 
m'interpellent. Je ne suis dès lors pas sûr que nous soyons tout à fait 
prêts à adopter ce projet de loi.. »..

La réalité judiciaire :

Deux arguments sont souvent avancés pour justifier les articles 43-8 et 
43-9 : Ils permettraient d'aller vite, et de ne pas encombrer les 
tribunaux. En clair, il s'agit d'instaurer une justice privée et expéditive.
A supposer que le législateur soit capable de trouver la moindre 
justification à l'instauration d'une telle « justice », remarquons que :
-Concernant la vitesse : il est à souhaiter que le gouvernement donne à 
sa justice -fût-elle numérique- les moyens d'agir à la vitesse qu'il 
convient.
-Concernant l'encombrement des tribunaux : On voudrait nous faire croire 
que les tribunaux seraient encombrés d'affaires liées au Net... Comme 
si, par on ne sait quel tour de magie, un citoyen honnête voyait sa 
probabilité de devenir un délinquant soudainement augmenter dès 
l'instant où il se connecterait au Net ! La réalité objective est qu'il 
n'en est rien : ces affaires sont peu nombreuses, et les décisions de 
justice qui ont été rendues sont d'ailleurs pleines d'enseignements que 
le législateur ne peut ignorer :

Altern
La première affaire dans laquelle un hébergeur a été condamné pour des 
contenus mis en ligne par un tiers. Altern a donc disparu, ainsi que 
tous les sites qui y étaient hébergés...L'amendement Bloche a aussi 
disparu, censuré par le conseil Constitutionnel : Depuis, il est 
clairement affirmé dans la Loi que la responsabilité d'un hébergeur ne 
pourrait être engagée que dans le cas où, ayant été saisi par l'autorité 
judiciaire, il ne supprimerait pas le contenu _jugé_ illicite. 
Mentionnons par ailleurs que l'Union Européenne a décidé qu'aucune 
obligation de surveillance des contenus ne peut être exigée de lui (ce 
qui semble assez raisonnable quand on a une petite idée de la quantité 
d'informations qui circule sur le Net, ainsi que de la vitesse à 
laquelle il est possible de publier un contenu ou de le déplacer).

JeboycotteDanone
Le 20 avril 2001, le site JeBoycotteDanone.com disparaissait de la 
surface du Web, les intermédiaires techniques ayant peur d'être 
considérés comme coresponsables.
Il s'agit donc de l'exemple type de ce qui pourrait se passer 
systématiquement si l'assemblée votait le texte en l'état. En engageant 
la responsabilité des intermédiaires techniques, on oblige ces sociétés 
privées à minimiser rationnellement le risque judiciaire. Les seuls 
critères objectifs à peu près fiables dont disposent ces sociétés pour 
déterminer si elles doivent supprimer un contenu litigieux à la demande 
d'un tiers sont : le poids économique et la notoriété médiatique 
relatives du client publiant le contenu, et du tiers. Elles donneront 
donc _rationnellement_ raison à celui des deux qui sera économiquement 
ou médiatiquement le plus puissant : Ce sera donc la censure au faciès 
économico-médiatique.
Dans l'affaire JeboycotteDanone, on a donc assisté à la censure _totale_ 
d'un site par un intermédiaire technique. Et qu'a donc -par la suite- 
demandé le juge dans cette affaire ? Le simple retrait du Logo 
Danone...Le juge a estimé que le reste du site était légal. Fort bien, 
dans ce cas on pourrait considérer que les acteurs impliqués dans cette 
affaire ont servi de rats de laboratoire, mais que désormais tout 
intermédiaire technique sait qu'il suffit dans ce cas de figure de faire 
retirer un logo détourné... Passons donc aux affaires suivantes :

GreenPeace vs Esso
Le 8 juillet 2002, le TGI de Paris ordonne le retrait du Logo Esso 
affiché sur le site de GreenPeace. Décision qui semble donc confirmer la 
décision rendue dans l'affaire JeBoycotteDanone. A noter que l'hébergeur 
de GreenPeace qui était aussi attaqué, n'est pas poursuivi, le juge 
constatant qu'il entend agir promptement. Cela étant, GreenPeace fait 
appel...

GreenPeace vs Areva
Le 26 juillet 2002, le TGI de Paris déboute le groupe nucléaire français 
Areva, qui demandait le retrait du Logo Areva affiché sur le site de 
GreenPeace. Cette décision est donc très exactement _opposée_ aux 
décisions rendues pour Danone et Esso.Les notions d'apparence et 
d'évidence commencent à se diluer...

GreenPeace vs Esso (bis)
Le 26 février 2003, la cour d'appel de Paris _infirme_ l'ordonnance de 
référé du 8 juillet 2002 et condamne la société Esso. GreenPeace peut 
donc de nouveau afficher le logo incriminé sur son site. On notera tout 
particulièrement ce passage de l'arrêt de la cour d'appel : « 
Considérant que le principe à valeur constitutionnelle de la liberté 
d'expression implique que, conformément à son objet statutaire, 
l'association GreenPeace puisse, dans ses écrits ou sur son site 
internet, dénoncer sous la forme qu'elle estime appropriée au but 
poursuivi les atteintes à l'environnement et les risques causés à la 
santé humaine par certaines activités industrielles ; »

JeboycotteDanone (bis)
Le 30 avril 2003, la cour d'appel de Paris infirme le jugement du 4 
juillet 2001, et condamne Danone.

B2S Ceritex/Mediatel vs R@S/SudPTT
Le 22 Octobre 2003, les sociétés Ceritex et Mediatel mettent en demeure 
l'hébergeur R@S, exigeant qu'ils censurent tout contenu les concernant 
sur le site sudptt.fr. Rapidement, l'association IRIS venait épauler le 
R@S. Le 24 Novembre 2003, une ordonnance de référé du TGI de Paris 
déboute les sociétés Ceritex et Mediatel de toutes leurs demandes à 
l'encontre du syndicat sudptt et du R@S. Ceritex et Mediatel mettaient 
en cause la responsabilité du R@S, pour le contenu des informations 
diffusées, invoquant un trouble « manifestement illicite. » L'ordonnance 
précise utilement « qu'il appartient à cette juridiction d'examiner 
l'existence alléguée du trouble en question, en vérifiant seulement son 
caractère manifestement illicite éventuel. »

Les forums de discussion :

PèreNoël.fr vs DefenseConsommateur.org
Le 28 Mai 2002, le juge ayant refusé le sursis à statuer demandé par 
l'avocate de defense-consommateur en attendant que l'enquête en cours au 
Parquet de Créteil pour escroquerie en bande organisée soit terminée, le 
TGI de Lyon condamne le propriétaire de nom de domaine et le webmaster 
de DefenseConsommateur.org à verser 80.000 euros de dommages et intérêts 
à pere-noel.fr pour des propos diffammatoires postés par des internautes 
excédés sur le _forum_de_discussion_ de defenseconsommateur.org. Le 
jugement est à exécution provisoire.Face à l'ouverture de cette brèche 
juridique qui menace l'existence des forums de discussion, la Ligue 
Haut-Débit réagit, et organise une grève générale des forums de 
discussions francophones le 20 juin 2002. Plus de 90% des forums 
communautaires français ferment, et ce mouvement de protestation s'étend 
même à l'étranger. Le 18 juillet 2002, à la suite de nouvelles affaires 
impliquant des forums de discussion (CPAM Nantes, et Domexpo), la Ligue 
impulse une nouvelle grève des forums. C'est plus de 40.000 pétitions 
qui seront signées par les internautes français afin de demander au 
législateur des textes de loi clairs, adaptés à la réalité du Net, et 
protégeant les hébergeurs, prestataires de forums, webmestres, et 
propriétaires de noms de domaine. Le 22 Août 2002, des représentants de 
la Ligue Haut-Débit sont reçus par le conseiller TIC du Premier 
Ministre, lui relaient les voix des internautes français, et lui 
exposent les dangers du vide juridique entourant les forums de 
discussions et la nécessité d'établir des textes clairs garantissant la 
liberté d'expression.

Le 10 Juin 2003, alors que la dgccrf a reçu plusieurs milliers de 
plaintes de consommateurs, le Tribunal de Commerce de Lyon place la 
société pere-noel.fr en liquidation judiciaire.
Le 19 Novembre 2003, soit un an et demi après la condamnation éclair du 
titulaire de nom de domaine et du webmestre de defense-consommateur.org, 
le tribunal correctionnel de Saint-Etienne condamne l'ex-pdg de 
pere-noel.fr à 30 mois de prison ferme pour publicité mensongère, 
tromperie, entrave à l'exercice de la profession d'inspecteur du travail 
et refus de communiquer des documents à la Direction générale de la 
consommation, concurrence et repression des fraudes, et un mandat 
d'arrêt est délivré contre lui...

CPAM Nantes
Le 21 Juin 2002, le Directeur de la CPAM Nantes assigne le médecin 
webmaster du site de la coordination nationale des médecins, ainsi que 
l'hebergeur du site, et le prestataire de forum (les-forums.com), des 
médecins ayant tenus des propos peu urbains à l'égard du Directeur de la 
cpam. _Aucun_ de ces médecins n'est poursuivi... Le prestataire de 
forum, de son côté a immédiatement désactivé le forum incriminé. Sa 
réaction, pleine de bon sens, restera dans les annales du Net français : 
« si on m'accuse moi, pourquoi pas non plus celui qui héberge mes 
serveurs voir ceux qui lui louent la salle... c'est n'importe quoi » On 
serait tenté d'ajouter : « et pourquoi pas EDF qui fournit l'electricité 
qui alimente les machines, ou Microsoft qui a fourni le système 
d'exploitation ?. »
Cette affaire se termine le 28 juin 2003 par la signature d'un protocole 
d'accord enteriné par le juge. L'hébergeur et le prestataire de forum 
sont quant à eux écartés de la procédure.

Domexpo
Le 5 Juin 2002, une ordonnance de référé du TGI de Toulouse, à la suite 
de l'action intentée contre l'hébergeur et le webmestre du site 
ideesmaison.com par domexpo, impose la suppression des messages 
litigieux postés sur le forum du site, ainsi que la suspension de la 
diffusion de tout nouveau message, précisant que « cette mesure cessera 
de plein droit à l'expiration d'un délai de un mois à compter de ce jour 
si l'association domexpo ne justifiait pas de la saisine du juge de fond 
compétent d'une demande tendant à voir juger du contenu du site en cause 
» : Le 28 Juin 2002, l'association domexpo assignait le webmestre 
d'ideesmaison.com pour les propos publiés sur le forum du site. A ce 
jour, l'affaire est _toujours_ en cours, et le forum a disparu de la 
surface du web...
L'ordonnance de référé apportait cependant la précision suivante : « 
[...] cette suspension ne peut toutefois qu'être temporaire en référé, 
seul un débat devant le juge du fond pouvant permettre de déterminer de 
l'illégalité, de l'illicéité ou du caractère dommageable du contenu d'un 
site litigieux ainsi que des initiatives à prendre à l'effet de mettre 
un terme définitif au trouble subi par les tiers. » Dont acte.

Le « remède » proposé : pire que le mal (chilling 
effect/délocalisation/filtrage)
Lors de la première lecture au Sénat, où le débat sémantique fut 
kafkaïen, l'article 43-8 (ne concernant dans sa version actuelle que les 
hébergeurs, tout comme d'ailleurs l'article 14 de la directive 
européenne 2000/31/CE ne mentionne que les hébergeurs, ce que, au 
demeurant, nul ne conteste à Bercy) a été amendé de façon à « modifier » 
le champ des acteurs qu'il concerne : En proposant, dans l'expression 
alambiquée qui décrit ces acteurs, de remplacer « stockage direct et 
permanent » par « stockage durable », le rapporteur de la commission des 
affaires économiques expliquait que cela permettrait d'exclure les 
prestataires de cache, et d'inclure les prestataires de forums. Ce à 
quoi Nicole Fontaine répondait qu'effectivement cela permettait 
d'exclure les prestataires de cache, mais précisait que : « ces 
amendements ne visent pas à définir le régime de responsabilité des 
prestataires de forums. »... et ces amendements furent adoptés.

La question -symptomatique- reste donc entière : Qui est concerné par 
l'article 43-8 (et donc par les articles 43-9 et 43-14) ? Comment un 
acteur du Net français pourrait-il respecter une loi s'il ne sait même 
pas si cette loi le concerne ? En l'état, la loi Fontaine est un 
traquenard juridique.

Force est de constater qu'en omettant de cartographier les acteurs du 
Net, la loi proposée par Nicole Fontaine va très exactement à l'encontre 
d'une évidente nécessité de clarification par ailleurs affirmée par le 
Premier Ministre : en se défaussant sur la jurisprudence, elle change 
les acteurs du Net français en rats de laboratoire.

Nicole Fontaine doit donc expliquer clairement à l'assemblée si oui ou 
non il s'agit effectivement d'engager la responsabilité des prestataires 
de forums.Si tel était le cas, au vu des affaires perenoel.fr et domexpo 
ayant eu lieu sous l'actuel 43-8, sachant les protestations exprimées 
par les internautes, en particulier à l'occasion des journées 0forum, au 
cours desquelles plus de 90% des forums communautaires français ont 
fermé et plus de 40.000 pétitions ont été signées, sachant que plus de 
30.000 mails ont été envoyés à Jacques Chirac et autant à Jean-Pierre 
Raffarin pour protester contre les articles 43-8 et 9 du projet de loi, 
alors le message de Nicole Fontaine deviendrait assez clair pour les 
internautes : « vous avez juste le droit de vous faire arnaquer en ligne 
en silence ! »

Les conséquences seraient par ailleurs aussi simples qu'inéluctables : 
les prestataires de forums français cesseraient leur activité sur le sol 
français, et les forums français fermeraient ou iraient s'abriter 
derrière le premier amendement de la constitution américaine contre 
lequel le législateur est impuissant, sauf à instaurer un filtrage aux 
frontières comme en Chine Populaire.

Le projet de loi de Nicole Fontaine légitimerait la délocalisation des 
forums de discussion français aux Etats-Unis, et confronterait le 
législateur au choix éminemment politique du filtrage, qui serait jugé à 
sa juste valeur par les démocraties occidentales.

Et dire qu'à la suite de l'annonce du plan reso2007, le site du Premier 
Ministre annonçait le projet de loi de Nicole Fontaine en expliquant : « 
Ces mesures doivent réponrde à un paradoxe. Les prestataires assurant un 
hébergement des contenus, se sont en effet retrouvés devant les 
tribunaux, avec ou parfois en lieu et place des webmestres assurant le 
contrôle éditorial des pages ou sites incriminés. »

Paradoxe suivant : Le statut du webmestre décrit comme « assurant le 
contrôle éditorial. ».. Fort bien... Quid du webmestre qui propose sur 
son site un forum http ? Devrait-il être responsable de ce que n'importe 
quel internaute peut poster à n'importe quel moment sur ledit forum 
depuis n'importe quel point de la planète ? A 80.000 euros (voire 
200.000) l'assignation, la probabilité de trouver des forums http sur le 
web français va tendre vers zéro. Là encore, les webmestres (par exemple 
de sites de défense des consommateurs) n'auront plus qu'à délocaliser...

Autre point en matière de responsabilité des contributions postées sur 
les forums de discussion : Quid de Usenet ? S'orienterait-on vers une 
loi protocole-dépendante (http vs nttp) ?
On pourrait aussi parler du concept de « directeur de publication », à 
l'évidence totalement invalide en ce qui concerne les forums, ou encore 
de la modération (qui serait assez fou pour endosser le rôle de 
modérateur et devenir l'auteur principal de n'importe quelle 
contribution ?), et de nombreux autres problèmes auxquels le projet de 
loi de Nicole Fontaine est totalement aveugle...

A l'évidence, le texte de Nicole Fontaine n'est pas suffisamment abouti 
pour être valablement présenté au parlement, et n'apporte ni confiance 
ni clarification, bien au contraire.

Et bientôt les hyperliens ?

Un peu de prospective : Après les sites et les forums, il s'agirait 
bientôt de pénaliser le tissu sanguin du web qu'est l'hyperlien...A 
titre d'exemple, dans une récente publication, le Forum des Droits 
recommande aux exploitants de moteurs de recherche de « procéder au 
déréférencement immédiat des pages à caractère illicite dès qu'ils en 
ont connaissance. » Est-ce à dire que là encore, ce serait à 
l'exploitant de se substituer à l'autorité judiciaire ? Et, encore une 
fois, le déréférencement devrait être « immédiat ? »
Considérons donc un exemple _réel_ décrit par l'AFA :
« Un prestataire d'annuaire membre de l'AFA a reçu de la part du « 
Comité officiel Geneviève et Xavier de Fontenay » une demande de 
désindexation du « Comité Miss France » supposé usurper la marque du 
premier. Le demandeur a fourni, à l'appui de sa demande, plusieurs 
jurisprudences lui faisant droit. L'exploitant de l'annuaire a donc 
procédé à la désindexation de ce site « comité Miss France. » Or, lors 
des championnats « Miss monde » suivants, la candidate choisie pour la 
France a été celle du « Comité Miss France » et non celle du « Comité 
officiel Geneviève et Xavier de Fontenay. » L'exploitant de l'annuaire a 
appris à cette occasion que la bataille juridique concernant la marque 
datait de 1956 et n'était toujours pas tranchée définitivement. »

Au total, _objectivement_, au vu de ces affaires bien réelles, comment 
le législateur pourrait-il raisonnablement un seul instant exiger d'un 
intermédiaire technique qu'il se substitue au juge _avec_promptitude_, 
alors qu'il n'en a pas les compétences, et que la justice elle-même a 
besoin de temps pour s'y retrouver ?

La dérive solipsiste de Nicole Fontaine :

La commission supérieure du service public des postes et 
télécommunications a dénoncé le 10 décembre 2002 dans un avis de 
protestation le manquement du gouvernement à son devoir d'information du 
parlement : "La Commission supérieure du service public des postes et 
télécommunications (CSSPPT), dont la composition vient d'être largement 
modifiée, saisie le 20 novembre 2002 sur un avant-projet de loi relatif 
à l'économie numérique, créant ou modifiant, notamment, le code des 
postes et télécommunications en ses articles L. 32-16, L. 32-3-4, L. 
32-3-5, L. 33-4-1, L. 34-11, L. 97-1, L. 97-2 et L. 97-3,
considérant la demande du gouvernement que réponse lui soit rendue dans 
un délai de deux semaines, au mépris des droits de la CSSPPT, maintes 
fois rappelés, de pouvoir travailler dans des conditions qui 
garantissent la qualité de ses délibérations (notamment article D. 96-15 
du code des postes et télécommunications),
considérant qu'elle est une fois de plus saisie sur un ensemble de 
dispositions floues, disparates, sans liens évidents entres elles et 
sans que le gouvernement lui ait présenté la stratégie globale dans 
laquelle elles s'insèrent ; et estimant que le gouvernement a, en cela, 
manqué à son devoir d'information du Parlement,
A DECIDE D'EMETTRE UN AVIS DE PROTESTATION ET DE LE FAIRE CONNAITRE AUX 
DIFFERENTS MINISTRES SUSCEPTIBLES DE LA SAISIR."
Dans ce même avis, la cssppt exposait de plus clairement sa position 
quant à la responsabilité des intermédiaires techniques et au filtrage : 
"[...]C'est pourquoi, elle fait part à la ministre chargée de porter le 
présent avant-projet de loi :
- de son refus de l'option prise de faire endosser des responsabilités 
civile et pénale aux intermédiaires techniques en leur déléguant un rôle 
d'appréciation sur la teneur licite ou non d'activités ou de contenus, 
qui est du ressort exclusif de l'autorité judiciaire ;
- d'une contre-proposition consistant à instaurer une « procédure de 
coupure sur notification », qui engage la responsabilité sur celui qui 
demande la coupure parce qu'il s'estime victime d'un préjudice, si cette 
demande se révèle abusive ;
- d'une demande de suppression de la nouvelle version de l'article 
43-8-3 sur le pouvoir d'injonction qui serait donné au juge et qui se 
heurtera à des difficultés – voire des incompatibilités – techniques et 
juridiques."

En première lecture à l'Assemblée, C'est le député Dionis qui, alors 
qu'il avait auditionné de nombreux acteurs, se voyait contraint de 
retirer ses amendements : La veille de l'examen en première lecture, le 
conseiller du Premier Ministre déclarait à la presse que ce serait le 
texte de Nicole Fontaine qui passerait... Nicole Fontaine ne se prive 
pas des bénéfices d'un arbitrage favorable.

Au Sénat, en première lecture, le Sénateur Trégouët, intervenait dans un 
premier temps pour dénoncer la privatisation de la justice, et 
présentait ses amendements : Nicole Fontaine lui demandant de retirer 
son amendement 136, il se levait, et, animé d'un courage politique peu 
commun, tenait tête en maintenant son amendement. Face à 
l'intransigeance de Nicole Fontaine, il se retirait des débats. C'est 
l'opposition qui votait pour les amendements Trégouët ! Nicole Fontaine 
faisait enregister son texte.

L'alibi de l'Europe et le pseudo-conflit de transposition :

A chaque présentation de son projet, Nicole Fontaine s'abrite derrière 
le sophisme du retard de transposition de la directive européenne 
2000/31/CE qu'il est censé transposer. Pas une fois elle ne mentionne 
l'article 21 de cette directive, qui stipule qu'elle aurait dû être 
réexaminée avant le 17 juillet 2003... Pas une fois elle ne mentionne 
que l'actuel 43-8 (qui, après censure partielle du Conseil 
Constitutionnel, affirme le rôle incontournable de l'autorité 
judiciaire) est déjà conforme à la directive.Pas une fois elle ne 
mentionne que c'est au droit national de préciser dans quelles 
conditions un hébergeur peut avoir connaissance d'un contenu apparemment 
illicite.

Les articles 43-8 et 43-9 ne sont pas conformes au principe fondamental 
du droit qui réserve à l'autorité judiciaire le pouvoir de dire le droit 
: En droit français, une activité ou une information acquièrent leur 
caractère illicite par décision d'un juge. Nicole Fontaine ne peut 
ignorer que ce principe _n'est_pas_ incompatible avec la directive 
européenne, ce que, au demeurant, Danièle Pourtaud lui a rappelé lors de 
la première lecture au Sénat : _personne_ n'a pu la contredire.

Il convient donc de le réaffirmer clairement dans les articles concernés.

L'étiologie réelle du texte : le lobbying agressif des majors (un secret 
de polichinelle)...

Ce n'est plus un secret pour personne : ce projet de Loi a été écrit 
sous la pression des Majors qui imaginent qu'il leur permettrait de 
lutter contre le téléchargement de fichiers musicaux via -entre autre- 
les réseaux p2p. Demandez par exemple à Nicole Fontaine pourquoi elle 
refuse de supprimer l'exigence de filtrage : Parce que les majors ne 
seraient pas d'accord.
Ce lobbying agressif des majors a déjà été dénoncé publiquement à 
l'assemblée en première lecture, tant par la majorité que par l'opposition.
Le lobby des majors, le CLIC (Comité de Liaison des Industries 
Culturelles), faisait pression pour faire retirer les amendements Dionis 
à la veille de l'examen en première lecture à l'assemblée, et c'est 
effectivement ce qui est arrivé. Au même moment, les producteurs de 
disques exerçaient le même type de pression,comme si l'instauration 
d'une justice privée sur le Net était de nature à défendre leurs intérêts...
Le député Dionis dénonçait alors dans la presse l'impact des majors sur 
le projet de loi : ''Alors que ce texte devait fonder le droit 
d'Internet, il devient anachronique à cause d'intérêts particuliers«... 
»Ils espèrent enrayer une crise grave avec des moyens absurdes et 
s'engouffrent dans une impasse"

Ce n'est certainement pas en sacrifiant les droits fondamentaux des 
internautes que le législateur pourra rassurer le monde de la musique : 
c'est même exactement le contraire qui risquerait bien d'arriver. Si, 
sous la pression des majors, la justice du Net devait être privatisée, 
avec les inéluctables atteintes à la liberté d'expression que cela 
entraînerait, il y a fort à parier que bon nombre d'internautes se 
sentiraient alors peu enclins à dépenser ne fût-ce qu'un centime à 
acheter de la musique, que ce soit sous la forme d'un CD, ou en ligne...
Et que diraient les Majors, si, le cas échéant, leur était imposée une 
justice privée analogue à celle qu'elles essaient de faire imposer sur 
le Net français ?
L'instauration d'une censure privée sur le Net français n'est 
certainement pas la réponse la plus adaptée à l'inquiétude du milieu 
musical, c'est par contre le meilleur moyen de faire de l'Internet 
français une poudrière juridique.

Si le texte de Nicole Fontaine est aveugle à la réalité du Net, c'est 
parce qu'il se polarise à la demande de l'industrie phonographique sur 
le problème du téléchargement de fichiers mp3 sur les réseaux peer2peer 
: aveuglée par la problématique des droits d'auteur, Nicole Fontaine 
s'est tout simplement trompée de projet de loi.

En conclusion :

S'il est _évident_ que tout n'est pas permis dans la République 
numérique comme dans la République réelle, il n'en reste pas moins que 
dans la justice numérique, c'est à l'autorité judiciaire de juger, comme 
dans la justice réelle.

Que les hébergeurs hébergent, et que les juges jugent. Qu'il y ait une 
censure sur le Net ? Pourquoi pas... A une seule condition : Après 
l'intervention d'un juge indépendant et impartial disposant de textes 
clairs et adaptés à la réalité du Net. C'est seulement dans ces 
conditions qu'une loi pourra prétendre apporter confiance et 
clarification. A défaut, si même le législateur ne comprend pas le texte 
qui lui est proposé, comment un juge, pourrait-il s'y retrouver ? Et 
comment un simple internaute pourrait-il respecter une loi si ni le 
législateur ni le juge ne comprennent quels sont les acteurs concernés 
par tel ou tel de ses articles ?

Il est donc demandé que le législateur s'attache non seulement à faire 
respecter le principe fondamental du droit qui réserve à l'autorité 
judiciaire le pouvoir de juger, qu'il garantisse le droit à une justice 
indépendante et impartiale à tout citoyen, fût-il internaute, mais 
aussi, et surtout, qu'il commence par le commencement, à savoir : 
définir quels sont les acteurs de l'Internet, avant de rédiger des 
articles dont nul ne saurait précisément quels acteurs ils concerneraient.

Le sénateur Trégouët aura prévenu :
« IL NE VOUS RESTERA QUE VOS YEUX POUR PLEURER ! »

Ecrire une lettre de protestation aux députés :
http://www.odebi.org/deputes/0justice.html

Ecrire au Président de la République
http://odebi.nerim.net/0forumr12/0forumr12.html


 
 
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