copy.cult on Mon, 24 Mar 2003 09:57:24 +0100 (CET)


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[nettime-fr] Principes élémentaires de propagande de guerre, utilisables en cas de guerre chaude, froide, ou tiède


http://www.irak.be/ned/missies/AnneMorelli.htm
un article de  Anne Morelli, professeure de Critique historique à l’Université Libre de Bruxelles, qui prend du relief rétrospectivement.

1- Attendez-vous à lire, à voir et à entendre… L’Irak dans l’actualité de demain.

Dans mon enfance, une journaliste du nom de Geneviève Taboui, passionnait quotidiennement les auditeurs de Radio-Luxembourg par une rubrique intitulée L’actualité de demain.

            Elle captivait l’attention via une ritournelle « Attendez-vous à savoir, chers auditeurs… » qui précédait chacune de ses annonces prospectives. 

            Je ne suis pas futurologue, je ne suis qu’historienne, et je ne prétends nullement que le passé nous permette de prévoit l’avenir. Mais l’analyse des mécanismes de la propagande de guerre[1] nous permette d’imaginer comment on chauffera l’opinion publique dans les médias pour lui faire accepter la prochaine guerre que prévoient les Etats-Unis contre l’Irak.

            Je fais ici le pari que, dans ce conflit aussi,  la mobilisation des esprits se fera via les principes que je vais passer en revue. Vous saurez ainsi dès aujourd’hui ce que vous pouvez vous attendre à lire, à voir et à entendre. 

            1º Nous ne voulons pas la guerre : il va être indispensable pour justifier la guerre dans l’opinion publique de présenter l’Irak comme ayant provoqué la guerre. Il faut évidemment préparer cette provocation. Il y aura donc un incident (spontané ou non) qui sera présenté comme le défi auquel il est indispensable de répondre. Ce défi pourrait être le refus de l’Irak de recevoir de nouveaux inspecteurs du désarmement, même si Scott Ritter, ancien chef de cette mission, assurait dans une conférence au Palais du Luxembourg (Paris, 10 avril 2002) que lorsque ces inspecteurs avaient quitté l’Irak en 1998, ils contrôlaient la totalité de l’infrastructure de l’Irak afin de s’assurer qu’il ne reconstituait pas son potentiel militaire. Mais attendez-vous aussi à voir demain sur votre chaîne préférée un nouveau vidéo-gag « prouvant » la complicité de Saddam Hussein et de Ben Laden, attablés ensemble au petit-déjeuner avec un exemplaire récent du New York Times, ou des prison!
niers de Guantanamo révélant miraculeusement leur lien avec l’Irak, ce lien que la C.I.A. et le Pentagone aimeraient tant établir depuis plus d’un an. 

            2ºL’Irak est seul responsable de la guerre 

Bien que les Etats-Unis aient depuis des mois annoncé froidement qu’ils veulent en finir avec le régime avec lequel ils rêvent d’en découdre depuis la révolution provoquée par le parti Baas en 1958, l’incident prévu en 1º permettra de conclure que les Irakiens l’ont bien cherché et que la totale responsabilité du conflit leur incombe. La guerre que mèneront les Etats-Unis sera, même si cela semble difficile à imaginer, l’Irak ne les menaçant pas, une guerre défensive. 

            3ºLe chef du camp adverse a le visage du diable.

            Une campagne de démonisation du leader adverse sera à ce moment nécessaire. On précisera d’ailleurs qu’on va se battre contre lui, pas contre les Irakiens. Comme pour le Keiser, lors de la seconde guerre mondiale, on le présentera comme un monstre sanglant sans pareil. Dans le cas de Saddam Hussein il n’est pas faux qu’il dirige un régime autoritaire (qui a notamment interdit et décimé le parti communiste, où il n’y a ni grève, ni syndicat indépendant…) mais il y a d’innombrables régimes (Turquie, Tunisie, Arabie-Saoudite,…)qui présentent les mêmes caractéristiques et que nous soutenons.

            Attendez-vous donc à ce que le dirigeant irakien soit accusé de cruautés exceptionnelles (par exemple il ferait couper la langue à ceux qui disent du mal de lui et ferait, comme Hitler, décapiter ses opposants) mais aussi d’être dément, psychotique, paranoïaque, comme le seraient d’ailleurs tous nos ennemis (Milosevic…) au contraire de nos propres dirigeants, modèles d’équilibre et de clairvoyance.

 Saddam Hussein sera le Hitler du moment (sa moustache sera raccourcie pour l’occasion !) comme bien d’autres avant lui. Mais par contre on n’osera plus ironiser sur le rôle de son fils, pré investi comme successeur, de peur de créer certaines analogies avec la famille Bush.           

4º Pour chauffer l’opinion politique, les médias insisteront sur une différence essentielle : notre camp défend une noble cause au contraire de l’Irak. On ne parlera que très peu des enjeux économiques ou géostratégiques de la guerre, encore moins d’une revanche du fils par rapport à une pseudo défaite de son père, mais beaucoup de démocratie, d’humanisme et de droits de l’homme (ou de la femme). Pourtant l’enjeu essentiel de cette guerre contre l’Irak sera bien sûr le contrôle d’immenses gisements de gaz et de pétrole et d’une zone stratégiquement importante, entre la Russie et la Chine.

N’oublions pas que l’Irak a eu l’outrecuidance de vouloir disposer lui-même des revenus de son pétrole et que cette velléité d’indépendance indispose profondément les compagnies pétrolières. Elles exigent donc leur libre accès à ces gisements, qui serait grandement facilité si un allié des Etats-Unis remplaçait Saddam Hussein et permettait aux troupes U.S. de se déployer dans la région comme c’est aujourd’hui le cas au Kosovo. Par son refus de se plier aux volonté américaines, l’Irak est un mauvais exemple qu’il faut châtier avant qu’il ne fasse des émules.

            Mais, je vous le répète, ces buts réels de la guerre ne seront pas –ou très rarement– évoqués.

            Par contre, attendez-vous à entendre présentés trois motifs, avancés déjà pour justifier la guerre de 1914-1918 :

-                Notre camp est celui de la démocratie (en 1914, notre camp comprenait le tsar de Russie, pour la prochaine guerre il comprendra bien aussi des tyrans mafieux ou des émirs dictateurs).

-                Nous défendons les droits d’un petit peuple (hier les Koweïtiens ou les Kosovars, demain peut-être les Kurdes qu’on laisse tranquillement exterminer s’ils vivent en Turquie).

-                Nous luttons contre le militarisme (souvenez-vous à ce propos qu’on nous présentait sans rire en 1991 l’armée irakienne comme la 3ème du monde).

   Quand notre camp attaquera, remarquez que cela n’aura évidemment rien à voir avec le militarisme.

À ces buts classiques, nous pouvons ajouter aujourd’hui une pointe de féminisme, politiquement correcte. L’O.T.A.N. a envahi le Kosovo pour empêcher les Albanaises d’être violées, les États-Unis ont bombardé l’Afghanistan pour libérer les femmes de la burgha. Même si l’Irak est, de loin, le pays de la région le plus en pointe en ce qui concerne la condition de la femme, il n’est pas à exclure que cet argument (porteur pour la moitié féminine au moins de l’opinion publique) soit invoqué. Des journaux (cf. Vif-Express 15 mars 2002) ont déjà relevé que Saddam Hussein manquait totalement de compréhension avec les prostituées de son pays ! 

5º La propagande nous fera part à ce moment-là d’atrocités perpétrées par l’ennemi irakien. Mais nous n’aurons peut-être plus à l’esprit tous les bobards précédents auxquels nous avons cru. Ils ont semé l’indignation, nous ont fait accepter la guerre au moment-même, mais ont été démentis après la guerre, après avoir joué leur rôle : boches coupant en 1914 les mains de tous les bébés belges ou soldats irakiens arrachant les bébés koweïtiens de leurs couveuses, auront certainement leurs homologues dans la préparation psychologique ou la justification du prochain conflit.

            La seule chose qu’on ne peut prévoir actuellement est le détail de ces bobards : il pourrait s’agir de l’équarrissage de peau humaine ou de toute autre excentricité peu productive.

            Quant à nos atrocités, elles seront inévitablement présentées comme des bavures involontaires. L’abri d’Amariya à Bagdad a été frappé de missiles perforants américains le 13 février 1991, lors de la précédente guerre contre l’Irak. Quatre cents civils irakiens y ont été brûlés vifs mais ce n’était qu’une regrettable erreur, d’ailleurs imputable aux Irakiens car le bruit courait que S. Hussein avait son quartier général sous l’édifice. C’est donc lui le monstre qui se servait de non-combattants comme boucliers humains et nous n’avons fait que tenter de le débusquer ! 

6º L’ennemi utilise des armes non-autorisées

Selon les époques il s’agissait des gaz asphyxiants ou des sous-marins, des balles dum-dum ou de la bombe atomique. Même si, de l’avis des experts tels Scott Ritter, en 1996, 90 à 95% des usines et des appareils de production utilisés par l’Irak pour produire des armes biologiques, chimiques, nucléaires et des missiles balistiques avaient été contrôlés comme effectivement détruits, cette question ne manquera pas de ressurgir.

En 1991, on avait chauffé l’opinion publique en nous montrant des hyper-canons irakiens qui se sont révélés par la suite être…fantomatiques !

Attendez-vous donc à entendre parler ou à voir les images des armes non autorisées de l’Irak.

Ce seront peut-être des bombes atomiques de poche ou des virus de la variole, je ne peux le préciser, mais cela m’étonnerait que cet argument ne soit pas utilisé.

Je ne pourrai cependant m’empêcher de penser à ce moment-là que le seul pays à avoir jusqu’à ce jour lancé la bombe atomique contre des villes ennemies est les Etats-Unis et que le virus dit de l’anthrax ne semble pas avoir vu le jour hors de leurs frontières… 

7º peu après le déclenchement des opérations devrait intervenir un autre thème : Nous subissons très peu de pertes tandis que celles de l’ennemi sont énormes

Attendez-vous donc à apprendre immédiatement que les Irakiens n’opposent aucune résistance, sont heureux d’être libérés et ont tant de pertes qu’ils désertent massivement.

Ce sera peut-être vrai mais cela pourrait être faux. En Yougoslavie, Jamie Shea, porte-parole de l’O.T.A.N., avait lancé ce type de nouvelle, reprise à l’unanimité à la une des chaînes de télévision mais qui s’est avérée fausse. L’armée yougoslave n’a pas enregistré de désertions massives.

Quant aux scènes de liesse attendant d’éventuels libérateurs, des Sudètes libérés par Hitler aux Parisiens  acclamant avec le même enthousiasme Pétain et de Gaulle, nous devrions être blasés de ces images pas forcément significatives d’autre chose que de la versatilité des foules.

Si les opérations contre l’Irak se mènent sur terre, elles devraient forcément –au contraire des bombardements qui n’entraînent que des pertes unilatérales– entraîner des deux côtés des pertes humaines, même minimes du côté américain. Mais jamais la propagande de guerre ne montre nos propres pertes humaines, à moins que cela ne soit à mettre au registre des cruautés de l’ennemi.

Attendez-vous donc à voir les images de militaires irakiens morts mais pas de civils irakiens (car cela laisserait à penser qu’il ne s’agit pas de notre part d’une guerre totalement chevaleresque), ni de militaires américains morts car cela mettrait en doute l’image de la guerre propre et du risque zéro pour les boys américains.

Les images de militaires américains qui nous seront présentées seront celles de combattants superman, de libérateurs ou de bienfaiteurs de l’humanité apportant –d’une main du moins, l’autre étant occupée par leur arme– aide et protection à la population irakienne.

Avec un peu de chance, vous devriez voir des militaires américains avec des bébés sur les bras, distribuant des vivres à des femmes et des enfants irakiens reconnaissants. 

8º Tout conflit passe plus facilement si des artistes et intellectuels soutiennent la guerre.

En 1914, 93 des plus grands noms de l’élite scientifique et intellectuelle allemande avaient soussigné un manifeste, en appui au Keiser et à l’armée allemande, victimes selon ce manifeste d’odieuse médisances.

En 2002, des intellectuels américains ont fait de même pour la guerre contre l’Afghanistan. Leur appel à soutenir la guerre a été largement médiatisé dans la presse européenne tandis qu’un appel en sens contraire, opposé aux bombardements et provenant d’autres intellectuels américains, n’a –lui– eu qu’un écho tardif et n’a pas fait la une des médias en Europe.

Attendez-vous donc à lire de telles pétitions de soutien d’intellectuels américains –et de leurs petits frères européens-  à leur gouvernement lorsqu’il déclenchera la guerre contre l’Irak.

Par ailleurs, attendez-vous aussi à voir –aux Etats-Unis comme en Europe- des images de shows divers en soutien à la guerre : lors de la guerre contre la Yougoslavie, peu d’artistes mobilisés avaient osé, tel Arno, résister aux sirènes des médias, et refuser ce type de prestations militaro-fantaisistes.

Britney Spears, ou Marilyne Monroe, ou une autre encore, encouragera de sa voix et de ses charmes le moral des troupes américaines avant leur départ pour le front américain.

Cet appui ne sera évidemment pas le résultat de leur réflexion politique mais donnera au public l’impression que la guerre est soutenue unanimement. 

9º  La propagande de guerre exige que notre cause soit présentée à l’opinion publique comme une cause sacrée.

L’Irak étant un pays laïque, il sera un peu difficile de présenter ce conflit comme étant celui de l’occident chrétien (le christianisme est aussi la religion du vice-premier ministre irakien Tarek Aziz) contre l’islam. Mais pourquoi pas?

En outre, attendez-vous à entendre sans arrêt le manichéisme séparer les deux camps. Nous serons le bien, le camp de la démocratie, de l’humanisme, de la liberté, de la libre-entreprise. L’Irak sera le mal, l’état voyou, la tyrannie, la dictature.

En cela la défense de notre cause aura un caractère sacré. Dieu soutiendra l’Amérique, Satan soutiendra l’Irak, et pour accentuer le contraste, le président américain ponctuera encore quelques-uns de ses discours d’émouvants « God blessed America » ou « In God we trust ». 

10º Enfin, ceux qui mettraient en doute cette propagande seront considérés comme des traîtres. Ils ne croiraient pas que les Irakiens ont voulu la guerre, provoquent sciemment des atrocités, sont dirigés par un monstre sanguinaire et ne respectent pas les lois de la guerre ? Tandis que notre camp, contraint à la guerre, défend une noble cause avec des armes légales et des combattants chevaleresques qui ne commettent qu’involontairement des bavures ?

Attendez-vous à les voir traités d’agents de Saddam Hussein, de fossoyeurs de la démocratie, de pacifistes attardés, de dangereux inconscients.

C’est ainsi que passera sans problème dans l’opinion publique l’agression contre l’Irak (pardon : la juste défense de la démocratie et de la libre-entreprise contre l’Irak)

Depuis plus d’un siècle, ces principes de la propagande de guerre ont toujours fait recette. Attendez-vous donc à les retrouver bientôt appliqués dans vos quotidiens, hebdomadaires, chaînes de radio et de télévision préférés.

 Anne Morelli, professeure de Critique historique à l’U.L.B.

[1] Cf. Anne Morelli, Principes élémentaires de propagande de guerre, utilisables en cas de guerre chaude, froide, ou tiède, Labor 2001
 
 
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