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[nettime-fr] Plan de sécurité du Ministre de la Justice(Belgique)


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Réaction de la Ligue face au Plan de sécurité
          du Ministre de la Justice


Quand on passe l'arme à droite...
(Julien PIERET)


Le 10 janvier, le Ministre de la Justice, Marc Verwilghen, présentait à la
presse son plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire. Le
document est long, fastidieux, et redondant, la concordance entre les
différentes versions linguistiques du texte étant de surcroît pour le moins
sujet à caution. Neuf priorités en matière criminelle y sont énoncées, huit
moyens d'actions avancés. A peine publié, le plan essuie déjà de nombreuses
critiques de la part de criminologues ou de juristes qui mettent en doute
l'efficacité de la démarche ministérielle. Pour quelles raisons ? Un rapide
examen des orientations et des motivations sous-tendant le contenu du texte
permettra de mieux comprendre comment Marc Verwilghen réussit à s'attirer, à
juste titre, les foudres des commentateurs...



1. Une vision stérile de la notion de sécurité

2. La politique du tout privé

3. Les prémices d'une sécurité à deux vitesses     4. Une politique
encourageant la délation

5.L'absence de réflexion
6. Et les Droits de l'Homme... ?

  

1. Une vision stérile de la notion de sécurité

Largement développée dans l'introduction du plan, la notion de sécurité,
telle que la conçoit le Ministre, pose déjà problème. Mesurable,
quantifiable, la sécurité, tant objective que subjective, doit
essentiellement faire l'objet d'études statistiques (Plan : La sécurité, ch.
2.2). D'autres questions, par exemple de type socio-économique, sont à peine
effleurées (ch. 2.3), M. Verwilghen se gardant bien d'y donner des réponses
argumentées qui, pour une fois, changeraient des déclarations d'intention de
circonstances. 

Afin de mesurer la sécurité, le Ministre se dote d'un instrument de mesure
spécifique : l'Institut national de la Justice et de la Sécurité ( l'I.J.S.
) qui regroupera en son sein le Service de la politique Criminelle et la
section Criminologie de l'Institut national de Criminalistique et de
Criminologie (projet 2). L'I.J.S., chargé de coordonner et de diriger la
recherche scientifique en matière de sécurité, présente immédiatement un
danger pour l'indépendance, voire la survie, d'autres organismes menant des
recherches criminologiques. Pire, il semble bien, à la « lumière » du plan,
que cet institut ne sera qu'un organe justifiant et avalisant les
initiatives ministérielles. Ainsi, lit-on que l'institut constituera une
«entité scientifique à l'appui de la politique» et que «l'évaluation du
dispositif de recherche scientifique externe existant sera effectué quant à
sa valeur politique »... On l'aura compris, loin de vouloir engager une
recherche scientifique indépendante et cohérente sur le phénomène criminel,
M. Verwilghen espère avant tout s'assurer de l'efficacité future de son
plan, chiffres à l'appui...
Il est intolérable, de la part du Ministre de la Justice, de se cantonner
quasi exclusivement à une approche statistique de la criminalité. Loin de
représenter la démarche globalisante annoncée, le plan fédéral de sécurité
se limite à une vision par essence stérile de la sécurité. En outre, la
création de l'I.J.S. remet en cause l'indépendance intellectuelle que l'on
est en droit d'attendre de la part d'un organisme de recherche scientifique
et n'offre pas de garanties suffisantes quant à la survie d'autres centres
externes de réflexion criminologique.

 

2. La politique du tout privé

La vision statistique de la sécurité est une influence de techniques issues
du secteur privé, reposant sur les concepts de management et de
compétitivité. Elle est loin d'être la seule. Ainsi, la collaboration entre
services publics et privés, vieille revendication des sociétés de
gardiennage, est vivement encouragée dans de nombreux domaines aussi variés
qu'entre autres :


la surveillance des transports en commun (projet 11),

la répression de la délinquance économique et financière (projet 39),

le transfert des prisonniers (projet 91.2),

le fonctionnement des maisons de justice (projet 101)...


Cette ébauche de privatisation tous azimuts, encouragée par le projet d'un
statut fiscal privilégié pour l'achat de matériel sécuritaire (projet 15),
s'effectue bien évidemment sans l'ombre d'une réflexion sur la nécessité de
différencier les domaines où, effectivement, l'appui subordonné des sociétés
privées pourrait combler le manque de moyens des forces de l'ordre, et ceux
où ce type d'aide extérieure se doit d'être rigoureusement interdite en
raison du monopole fondamental dont dispose la Police dans le maintien de
l'ordre, et ce, notamment sur la voie publique. La démarche de M. Verwilghen
se comprend aisément lorsque l'on apprend que son expert ès sécurité, Marc
Cools, occupe les fonctions de General manager chez Shielt - division de la
multinationale Alstom - société spécialisée notamment dans le service
sécuritaire. Et le Ministre d'avancer, en guise de justification préalable
(le concept de gestion intégrale de la sécurité, ch. 3.2) que «justice et
police ont beaucoup à apprendre du secteur privé »...

Nous ne pouvons tolérer cette entorse de taille dans le principe voulant que
la sécurité demeure un service public. Aucun dirigeant de sociétés privées
n'est politiquement responsable devant la population. Restreindre
l'application de cette exigence démocratique est irresponsable, a fortiori
lorsque le plan envisage la possibilité pour le bourgmestre de confier un
rôle de direction à une entreprise privée dans l'organisation de plans
locaux de sécurité (projet 116). Prétendre vouloir valoriser l'Etat de droit
démocratique (la sécurité, ch. 2.4) et en saper l'un des fondements
essentiels est pour le moins contradictoire et dangereux.

 
En conséquence, nous nous opposons fermement à toute remise en cause du
caractère essentiellement public du maintien de l'ordre, et ce, par
l'extension des compétences des sociétés de sécurité. Il est
démocratiquement nécessaire que la sécurité, à l'instar de l'enseignement ou
de la santé, reste un domaine public géré exclusivement par les autorités
étatiques, seules responsables devant la population.



 

3. Les prémices d'une sécurité à deux vitesses

Un autre objet d'inquiétude provient des nombreux indices trahissant la
volonté de M. Verwilghen d'appliquer le principe « deux poids, deux mesures
» en matière de sécurité. L'exemple le plus marquant de cette démarche se
trouve dans le type de réformes qu'envisage le Ministre pour, d'une part, la
répression des délits financiers, et d'autre part, la poursuite de la petite
délinquance.


La criminalité en col blanc


Le projet du ministre est de décriminaliser le contentieux relatif à la
délinquance économique et financière, abusivement présenté comme responsable
de l'engorgement de nos juridictions pénales (projets 36 et 44). Reposant
sur le concept d'auto-régulation du secteur, l'idée consiste à instaurer des
commissions disciplinaires compétentes pour infliger des amendes
administratives aux contrevenants (projets 36 et 37). Cette initiative, à
laquelle seront associées les organisations représentatives dans les
entreprises et les unions professionnelles (projet 36), permettra de mettre
en œuvre une répression ad hoc, sur-mesure et intra muros. On est
évidemment bien loin des exigences de transparence pourtant fondamentales en
matière judiciaire.

Soulignons que l'accent est mis sur l'élaboration de procédure in rem
permettant la privation de l'avantage frauduleusement obtenu sans qu'une
condamnation pénale ne soit possible (projet 40). Ce concept de peines
patrimoniales refait surface un peu plus loin dans un contexte totalement
différent, celui lié à la criminalité engendrée par la drogue (projets 83 et
85). Ici, par contre, aucune possibilité de décriminalisation n'est
envisagée...


La petite délinquance


Le souci de dépénaliser montre donc rapidement ses limites. Et lorsque la
population cible est de classe défavorisée, la tendance est même inverse.
Ainsi, le Ministre prévoit l'application d'une politique de tolérance zéro
dans des zones bien délimitées où l'on peut constater «une concentration
extrême de criminalité», et ce, «jusque qu'à ce que la sécurité des citoyens
retrouve un niveau acceptable dans cette région» ( projet 94). On connaît
les conséquences désastreuses d'une telle pratique : explosions des plaintes
pour violence abusive des forces de l'ordre, surpopulation carcérale, coût
exorbitant... Ne s'appliquant généralement qu'à l'égard d'un prolétariat
déjà économiquement laissé pour compte, la tolérance zéro est
discriminatoire et stigmatisante pour les habitants des zones visées.
Visiblement, le Ministre connaît également ces effets néfastes (ch. 7.3,
Agir selon la norme). Mais, se fondant sur le principe de proportionnalité (
?), il avance néanmoins l'utilité que pourrait représenter ce type de
politique...

Pourtant, l'intégration sociale des populations marginalisées ou exclues est
présentée comme l'un des objectifs poursuivis par le plan (Introduction, ch.
1). La contradiction devient totale lorsque le Ministre, dans l'examen de la
problématique des grandes villes, pointe la stigmatisation de certains
groupes identifiés comme étant « à risque » comme responsable de leur
sentiment d'exclusion producteur d'attitudes délictueuses ou inciviles.

En tout état de cause, loin de neutraliser la délinquance, la politique de
stricte application des normes, par essence géographiquement limitée, ne
fait que la déplacer, soit vers des zones où elle n'est pas mise en
œuvre, soit à l'intérieur même des institutions carcérales. Il est
d'ailleurs évident que la tolérance zéro ne peut exister qu'en parallèle
d'une politique pénitentiaire soutenue. Comment, dès lors, avancer l'idée
d'une gestion de l'input pénitentiaire afin de supprimer les effets
désastreux de la surpopulation carcérale (projet 120) ? Le projet de
comparution immédiate (repris dans le plan au projet 93), la possibilité
d'incompressibilité de certaines peines (projet 120.2), et plus
fondamentalement l'extension ou l'ouverture de nouveaux établissements
pénitentiaires (Note de politique générale du Ministre de la Justice pour
l'exercice budgétaire 2000) permettent de relativiser les bonnes intentions
du Ministre. 

 
Il est fondamental que la sécurité soit assurée de manière indifférenciée
selon notre position dans la hiérarchie sociale. Décriminaliser un
contentieux responsable de la diminution des finances publiques et, en même
temps, prétendre mettre fin à la petite délinquance par une répression
assidue et discriminatoire est contraire au principe d'égalité essentiel à
tout service public.

 

4. Une politique encourageant la délation

Si le plan fait la part belle au secteur privé, le public - entendez la
population - est également mis à contribution via la notion de citoyenneté
retrouvée (La sécurité, ch. 2.5). Derrière cette terminologie ronflante, se
cache, en fait, un appel généralisé à la délation.

La délinquance sexuelle est bien entendu le terrain privilégié d'une telle
approche et le Ministre prévoit ainsi différentes réglementations qui
obligeraient les enseignants et les éducateurs de communiquer aux autorités
tout abus sexuel à l'encontre des jeunes (projet 56), cette communication se
voyant facilitée par « l'adoption » de l'école par la police de quartier ou
par un juge de la jeunesse (projet 64).

Mais le plan va plus loin que cette mesure, somme toute classique, et
révélatrice du climat sécuritaire engendré par l'affaire Dutroux. En effet,
à plusieurs reprises, M. Verwilghen en appelle à la participation active des
citoyens au rétablissement de la sécurité. Concrètement, cela passera par :


la mise sur pied de réseaux d'information de quartier (projet 1.1),

la stimulation de la surveillance et du contrôle social dans les quartiers
où se rendent les membres de « bande » (projet 8)

une prévention de la toxicomanie axée sur le voisinage (projet 79), et, de
manière plus générale,

la collaboration de la population, organisée ou non en associations comités
de quartier et/ou réseau d'information, à la gestion intégrale de la
sécurité à l'échelon local (projet 116).


Possibilité est donnée au bourgmestre d'attribuer un rôle de direction à
cette population dans la poursuite de programmes liés à la sécurité (projet
116). 

Dans cette logique d'associer à tout prix la population à la politique
ministérielle, les victimes pourraient, quant à elles, prendre part aux
décisions concernant la remise en liberté des condamnés (projet 62
concernant la délinquance sexuelle et projet 108 de manière générale).

Signalons encore l'association des acteurs économiques locaux (banquiers,
assureurs, promoteurs immobiliers...) à la politique de sécurité par la
possibilité de conclure des contrats de collaboration avec le bourgmestre
(projet 116). 

On perçoit mal l'opportunité de réglementer ce domaine alors que plusieurs
dispositions pénales prévoient déjà dans quelle mesure le citoyen peut
participer à la poursuite des criminels. Ainsi, l'article 30 du Code
d'instruction criminelle prescrit à tout individu, témoin d'un attentat
contre la vie ou la propriété, d'en avertir l'autorité judiciaire. De même,
l'article 106 du même code oblige toute personne à saisir l'auteur d'un
flagrant délit pour le conduire devant ladite autorité.

En outre, la contribution active du voisinage, ainsi que celle des acteurs
économiques et sociaux, contredit la nécessaire protection de notre vie
privée dans la conduite de nos relations sociales. Notons, par ailleurs, que
la notion de vie privée ne semble manifestement pas être une priorité dans
le chef de M. Verwilghen. Ainsi, prévoit-il, en matière de criminalité
organisée, la mise en œuvre de l'obligation de coopération des
opérateurs de réseaux de télécommunication (projet 26), la constitution
d'une banque de données ADN nationale (projet 32), et, en matière de
criminalité informatique, l'interception des communications (projet 43).

 
Nous ne pouvons accepter cette banalisation du contrôle social dit « de
proximité », qui, à travers l'histoire, fut la pierre angulaire des régimes
totalitaires. Ce type de surveillance porte manifestement atteinte à la
protection de la vie privée. L'institutionnalisation de la surveillance
sociale, loin de diminuer la criminalité, contribuerait à engendrer un
climat de suspicion et de paranoïa généralisé propice au développement du
sentiment subjectif d'insécurité.

 

5. L'absence de réflexion

Il est pour le moins étonnant qu'à aucun moment, le Ministre ne fasse état
des conclusions que l'on pourrait tirer des expériences de Neighbourhood
watching actuellement suivies dans certaines villes flamandes. En ce qui
concerne la tolérance zéro, aucune évaluation sérieuse des expériences
étrangères n'est invoquée. De même, le Ministre affirme la validité de la
surveillance électronique comme alternative à la peine d'emprisonnement
(projet 121.3) sans prendre la peine de commander une évaluation des
expériences actuellement tentées. Sans doute, craint-il que les études
démontrent que ce type de procédé est nettement moins efficace que ses
fabricants ont bien voulu le faire croire. Il est d'ailleurs significatif
qu'en Angleterre, l'on s'oriente vers un frein à cette mesure après que les
évaluations successives aient dénoncé que, d'une part, les prisonniers
rejettent majoritairement le mécanisme, et que d'autre part, loin de
diminuer la population carcérale, la surveillance électronique, en
multipliant les conditions à la libération, augmentent les risques d'un
retour prématuré au sein de la prison. Par contre, la nécessité d'étudier la
relation entre pression fiscale et délinquance financière est avancée
(projet 15)...

Agir à tout prix semble donc avoir été la motivation de M. Verwilghen,
soucieux de contenter rapidement un électorat ayant, à juste titre, soif de
réformes. L'absence de réflexion généralisée ne pouvait conduire qu'à un
plan creux, démagogique, largement inadapté et dont les seules nouveautés ne
sont constituées que par de vagues relents de politiques sécuritaires
anglo-saxonnes. 

 
Nous condamnons la démarche du Ministre consistant à faire précéder le geste
au détriment de la pensée. Nous exigeons que l'introduction ou la
généralisation de politiques sécuritaires fasse l'objet d'évaluations
préalables quant aux effets qu'elles pourraient impliquer par rapport aux
objectifs qu'elles prétendent poursuivre.

 

6. Et les Droits de l'Homme... ?

Le Ministre présente son plan comme l'application de l'article 2 de la
déclaration, qui, selon lui, définit la sécurité comme un bien auquel chaque
individu a droit (La sécurité, ch. 2.3). La sûreté de l'individu est en
effet proclamée par la D.U.D.H. mais à l'article 3. L'erreur du Ministre
serait-elle révélatrice du peu d'égard qu'il porte au texte universel ? Il y
a tout lieu de le croire... Où ont en effet disparu les notions de
non-discrimination, de protection de la vie privée, de procès équitable, de
dignité humaine, bref autant de principes que l'ensemble du gouvernement
est, aujourd'hui, incapable de promouvoir ?

 
Cette démarche visant à isoler l'un des droit consacré par la Déclaration et
à l'utiliser pour justifier n'importe quelle dérive sécuritaire est, à nos
yeux, particulièrement intolérable.

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Beaucoup de critiques pourraient encore être formulées à l'égard de ce
plan : l'absence de propositions concrètes pour lutter contre la traite des
êtres humains, l'approche sécuritaire de la délinquance juvénile, la vision
essentiellement économique de la toxicomanie, le détournement du concept de
justice réparatrice en matière pénitentiaire... Il est dès lors essentiel
que chacun, dans son champ d'activité, entame ou continue un travail de
réflexion visant, d'une part, à déconstruire l'efficacité des projets
présentés, en mettant en évidence leurs dangers potentiels, d'autre part, à
avancer une alternative à la logique sécuritaire par le biais de réformes
plus conformes aux intentions annoncées.

PIERET Julien. 

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