aris on Wed, 19 Jun 2002 17:39:02 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] Communication et mouvements - Spectacularisation de lacontestation


LES CONTRE-SOMMETS : TRAITEMENTS MÉDIATIQUES
ET « SPECTACULARISATION » DE LA CONTESTATION


    « Vivendi Universal offrira aux consommateurs de la musique,
    du sport, de la télévision, de l'information, des programmes
    éducatifs et des jeux interactifs, via le satellite, la TV,
    la téléphonie fixe et mobile, et Internet, sur tous supports,
    à tout moment et en tout lieu », Jean-Marie Messier, « Vivre
    la diversité culturelle », Le Monde, 10 avr. 2001.

    « Bien que nos renseignements soient faux, nous ne les
    garantissons pas », Erik Satie.

Les médias « officiels » (autrement appelés médias « intégrés » ou
« institutionnels »), prétendent fournir l'information selon un cadre
soi-disant « objectif ». Le thème de l'objectivité est déjà en soi
critique, car l'« objectivité » a du mal à être crédible dès lors
qu'on sait que tout est subjectif (puisqu'au sens philosophique, les
individuEs, qui sont le médium du langage, sont définiEs comme des
« sujets » et non comme des « objets »). L'objectivité existe
seulement en tant qu'idéologie véhiculant la vision de l'ordre
dominant qui s'affirme comme la seule étant « vraie ». C'est pourquoi
les médias « officiels » apparaissent souvent comme des intermédiaires
au service de l'ordre établi.

Cette question des médias nous amène plus profondément à nous
interroger sur le problème de l'utilisation de différentes formes de
médiums dans le but de transmettre (« communiquer ») un message, et
sur les risques qu'il y a alors de sombrer dans la spectacularisation
de l'acte politique, spectacularisation qui, à terme, est synonyme de
sclérose politique. Certes, on a besoin de rendre visible un message
pour qu'il soit connu par le plus grand nombre ; mais l'idée voudrait
que ce message ne se réduise pas à des aspects spectaculaires qui ne
sont, en fin de compte, qu'un moyen d'accroche pour inciter à
approfondir les problèmes. C'est en ceci que les contre-sommets
peuvent être intéressants d'un point de vue tactique.

Dès lors, la problématique concernant la question de transmission
visuelle durant les contre-sommets, semble tourner essentiellement
autour de la dialectique récupération-marginalisation des mouvements
de contestation (dialectique qui s'articule elle-même autour du risque
problématique d'une « spectacularisation » des formes contestataires).


PROCÉDÉS DE « RÉCUPÉRATION » DANS LES STRATÉGIES
MÉDIATICO-INSTITUTIONNELLES

    « En voyant ces spectacles, j'ai voulu rire comme les autres ;
    mais cela, étrange imitation, était impossible. J'ai pris un canif
    dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs
    aux endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je crus mon
    but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par
    ma propre volonté ! C'était une erreur ! Le sang qui coulait avec
    abondance des deux blessures empêchait d'ailleurs de distinguer
    si c'était là le rire des autres. », Lautréamont, Les Chants
    de Maldoror, Chant premier, § 5.

    « Notre destin de chair est absorbé par notre destin d'ombre.
    Une mythologie puissante, confuse et baroque, naît sur les murs
    des villes, dans les pages des quotidiens, dans la nuit des
    cinémas, dans la foule ameutée des meetings. Les mêmes mécaniques
    publicitaires lancent une marque d'apéritif et propagent les
    mots d'ordre d'un dictateur », Georges Hyvernaud, La peau
    et les os, 1949.

>> Médias, médiation, hiérarchie : l'intégration
   dans le jeu des institutions

La séparation qui existe à l'intérieur des mouvements de contestation,
entre « révolutionnaires » et « réformistes » (autrement dit entre
groupe « radicaux » et groupes « institutionnels »), gravite beaucoup
autour de l'enjeu des médias et de communication :

- Les « groupes radicaux » vont tenter d'interpeller les consciences
par le biais d'actions directes à fort potentiel symbolique. La
plupart des black blocs, par exemple, sont conscientEs que leur mode
d'action permet d'attirer les médias. Mais, même s'illes considèrent
que les médias peuvent être un moyen indirect d'accroche, illes savent
toutefois que c'est un médium lésé qui peut se retourner contre soi.
Dans tous les cas, c'est un « moyen » incertain, puisqu'il est de
toute façon à voie unilatérale, les individuEs en question excluant,
en général, l'idée de répondre à des interviews, et les médias
contrôlant et déblatérant tout ce qu'ils veulent quoiqu'il en soit.

- Alors que pour les « réformistes », l'utilisation des médias
institués est non seulement un moyen, mais aussi quasiment une fin.
Leurs procédés fonctionnent ainsi selon la logique des lobbies, ayant
alors pour perspective une lente intégration dans le jeu des
institutions médiatico-politiques. La stratégie des mouvements comme
Attac, notamment lors des contre-sommets, réside dans l'espoir de
« détourner » les mass-médias afin de faire passer leur message, en
espérant par là convertir le plus grand nombre. C'est un peu l'idée
qu'il suffit de s'immiscer dans les mass-médias pour faire un
mouvement de masse. Certes, cette méthode peut permettre la
stimulation du réveil politique de quelques-unEs ; mais elle reste de
toute façon insuffisante, car le « travail » de révolte nécessite
précisément une réflexion profonde et structurale de chacunE.

Aussi, cette stratégie « réformiste » vis-à-vis des médias, ne fait
que refléter la perspective politique de ces mouvements qui restent
accrochés à des logiques de pouvoir hiérarchiques et
institutionnelles. Déjà en soi, chaque médiation sous-tend une
hiérarchisation, et c'est d'autant plus évident lorsqu'il s'agit de
machines médiatiques officielles qui se posent comme les (instances)
médiatrices de la vérité universelle, voire qui prétendent représenter
« l'opinion publique ». Et ce discours de hiérarchie représentative,
on le retrouve à travers la rhétorique « citoyenniste » de ces
mouvements qui se veulent porteurs d'un projet de modernisation
« citoyenne » du capitalisme, entrant ainsi dans le jeu
« démocratique » que les instances de pouvoir proposent justement pour
canaliser la contestation et faire accommoder (ou raccommoder) le
capitalisme sans le faire disparaître. Cette théorie du citoyennisme
croit par conséquent à un Etat régulateur où le/la « citoyenniste » se
définirait comme une classe, de surcroît « éclairée », se déférant le
statut de représenter l'avatar dont ille croit s'octroyer la parole, à
savoir le/la citoyenNE. Ainsi, dans cette logique de communiquer
envers la « société civile » en passant par les médias institués, les
mouvements citoyennistes prétendent justement représenter cette
« société civile » que les partis et les syndicats traditionnels ne
sont plus capables de représenter selon eux. Si tant est que ces
structures aient un jour représenté ce qu'elles prétendaient, avec les
théories citoyennistes, on passe d'un système représentatif (donc
hiérarchique) à un autre, fermant par là la porte aux principes
alternatifs d'autogestion que nous essayons de promouvoir.

Par ailleurs, le schéma de la politique politicienne nous a depuis
longtemps montré que toute structure basée sur l'unique concept de
« représentation » menait à une « spectacularisation » de la vie
politique et, par là, à son désintérêt, voire à son rejet, par les
populations [1]. Cette mise en spectacle ou cette mise en scène de la
gestion de nos vies, les directions médiatiques s'emploient depuis
longtemps à les ordonner, ou plutôt à les coordonner avec les
instances politiques [2]. C'est pour cela que la stratégie des
mouvements « réformistes » vis-à-vis de l'utilisation des médias
officiels sonne comme une gageure. Qui croit en effet manipuler la
plus grosse machine manipulatrice si ce n'est cette machine
elle-même ? Et on aboutit alors souvent à un :

>> Retournement de situation

...Car à défaut de pouvoir instrumentaliser les médias institués, ce
sont ces derniers qui finissent par récupérer ceux et celles qui
croyaient en faire un usage subversif.

Cette récupération passe d'abord, on l'a vu, par une différenciation
manichéenne qui va leur permettre de choisir ouvertement ceux/celles
avec qui ils auront décidé de discuter (car les médias savent qu'au
final ils les grugeront), et celles/ceux qu'il faudra marginaliser et,
par là, détruire. Autrement dit, il s'agit de différencier les
« bonNEs » des « mauvaisES » contestataires. Cette tactique des médias
trouve écho dans l'idéologie citoyenniste : celles/ceux qui
« cassent » et qui refusent d'entrer dans la table (biaisée) des
négociations ne sont plus dignes d'être entenduEs, car on ne peut pas
discuter avec elles/eux (faut-il ajouter qu'elles/eux non plus ne le
souhaitent). 

Cette récupération passe ainsi par des tentatives de « détournement »
de la contestation populaire, par les partis politiques qui se voient
dépassés par un mouvement qu'ils n'ont pas vu venir (car venant « du
bas »). Ces derniers tentent dès lors de tout faire pour prendre le
train en marche afin de le contrôler, et à terme l'arrêter. Ainsi par
exemple, c'est sans vergogne que dès le 1e Forum Social de Porto
Alegre (mis en place depuis 2001 en vis-à-vis du Forum Economique de
Davos, et dont les mouvements citoyennistes, à l'instar d'Attac,
tentent de s'accaparer l'organisation), les politiciens qui désirent
s'acheter une étiquette « sociale », se rendent à ce rendez-vous de la
contestation. Et précisément, le traitement qui en est fait par les
médias officiels se réduit au récit de la venue de ces politicards
comme Chevènement (le « Che »), Hollande, Schröder et même certains
pontifes du RPR. Aussi, dans des optiques électoralistes, on a vu les
partis institutionnels de « gauche », comme les Verts, se réclamer du
mouvement « anti-mondialisation », voire se targuer de l'héritage
historique du mouvement. On peut dès lors imaginer ces
ex-soixante-huitardEs convertiEs à la religion politicienne,
déclarer : « c'était nous les premierEs à avoir dénoncé, grâce à
l'écologie politique, les effets de la mondialisation capitaliste sur
l'environnement humain, foi de libéralE-libertaire ! » ; ou encore
citer Attac qui s'attribue désormais l'hérédité historique des
contre-sommets. 

Par ailleurs, ces contestataires qui prétendent instrumentaliser les
outils de « l'ennemi », sont vouéEs à sombrer dans une rhétorique trop
contradictoire. Que répondre lorsque Vivendi se targue d'être un
groupe moderne et d'ouverture quand il diffuse ces
« anti-mondialistes » que sont Zebda ou Noir Désir via son satellite
Barclays, ou encore José Bové via les éditions de La Découverte que
J.M. Messier a aussi achetées. Chez Vivendi, on est même un peu copain
avec Ignacio Ramonet, co-fondateur d'Attac, puisqu'on possède une part
du Monde récemment côté en bourse, et donc du Monde diplomatique qui
est lié à la maison-mère. Et Bové aura beau publier désormais chez
Fayard ; ce sera Hachette-Lagardère son nouveau soutien logistique.
Cette contradiction dans les tactiques de diffusion ne reflète, au
fond, que la contradiction stratégique des « réformistes » qui
stigmatisent le capitalisme comme étant à l'origine des antagonismes
sociaux, tout en se prononçant seulement pour une régulation du
système capitaliste via notamment les taxations financières (taxe
Tobin). 

Ce discours schizophrénique n'est pas la seule conséquence d'une
récupération par les pouvoirs médiatiques. La déformation des messages
peut aussi en résulter. Car s'installer à la table des négociations
implique de se plier aux règles de la médiation institutionnelle,
laquelle contrôle cette table, ses micros, et y distribue la parole et
le temps de parole.

>> Information, déformation et réduction du message

Le traitement in-vivo des contre-sommets induit en soi la construction
d'une mise en scène de la contestation : les black blocs, c'est
pratique, car ça fait vendre des images spectaculaires de guérillas
urbaines, images qui constituent le fonds de commerce des médias
toujours friands de scènes qui permettent de répandre le sentiment
d'insécurité. Les messages politiques se retrouvent ainsi réduits à
des photos-spectacles. Et les médias vont dès lors rapidement oublier
ce pourquoi les manifestations ont eu lieu, notamment lorsque la suite
entrera dans la phase « inculpation des manifestantEs des mois
après ». 

Ensuite, ces médias vont tenter d'imposer LA figure charismatique à
travers laquelle ils vont réduire l'ensemble des mouvements
contestataires. En France, c'est évidemment José Bové, lui-même réduit
à l'état de caricature puisqu'il a sa propre marotte dans les
Guignols. On pourrait ainsi consacrer toute une étude sur le
traitement médiatique de la figure de Bové qui est devenu un mythe,
déformation faite peut-être à son insu, même si le personnage joue
lui-même beaucoup sur ce registre-là. La réaction de ce journaliste
d'Arte rendant compte de la kermesse de Millau [3] (juill. 00) était
assez univoque. Il pestait poliment contre Bové après avoir compris
que ce dernier tentait de « manipuler » les médias que, lui,
incarnait ; et on sentait dans son propos qu'il allait dans un délai
prospectif, se venger et reprendre sa place de manipulateur (de
caméra ?). 

C'est aussi justement à travers la figure médiatique de Bové qu'est
venue s'amalgamer une déformation majeure du message contestataire,
à savoir l'utilisation, très fourre-tout, du terme
« d'anti-mondialisation » pour désigner les opposantEs à l'ordre
capitaliste. Rappelons qu'à l'origine, cette notion
« d'anti-mondialistes » renvoyait aux souverainistes et autres
nationalistes hostiles à l'ouverture des frontières. Et si Bové
stigmatise cet amalgame, c'est qu'à travers une déformation
iconologique, il est devenu le gaulois Astérix aux longues moustaches
(et à la pipe ?) qui résiste farouchement contre « l'envahisseur »
romain (lire « américain »). Les « anti-mondialistes », à travers les
grands médias, apparaissent souvent comme ces « méchantEs »
anti-américainEs primaires, légèrement béotienNEs et casanierEs, qui
visent uniquement à défendre leur Roquefort contre le terrible
McDonalds, et qui en appellent à l'Europe (ou aux nations) pour
réguler et contrôler les marchés. D'autant que si Chevènement et
d'autres souverainistes s'y mettent et prennent un abonnement à Porto
Alegre, le tour est plus facilement joué...

Ainsi, ça rassure l'ordre médiatico-policier, le fait que les
contestataires soient des « anti-mondialistes » qui prôneraient un
contrôle du capitalisme grâce aux frontières du « bon vieil »
Etat-Nation. Ça rassure, même si malgré leur étouffement, des cris
discordants arrivent à essaimer. C'est alors là que la machine
criminalisante (ou normalisante) se met en place. Et ceci se fait
notamment grâce aux outils médiatiques qui ont déjà brossé l'image
du/de la « bonNe contestataire », c'est-à-dire celui/celle qui ne
« détruit » pas, est ouvertE à la discussion (lire « la concession »)
et ne remet pas profondément en cause l'ordre structurel des choses.


PROCESSUS DE MARGINALISATION

    « A travers quels jeux de vérité l'homme se donne-t-il à penser
    son être propre quand il se perçoit comme fou [...] quand il
    se juge et punit à titre de criminel », Michel Foucault, L'usage
    des plaisirs, Gallimard, 1984, p. 13.

    « La première réaction du pouvoir vis-à-vis d'un groupe
    de guérilla n'est pas d'ordre militaire ou policier ; il cherche
    à le disqualifier », Maurice Lemoine, « Rebelles, guérilleros
    et terroristes », in Le Monde Diplomatique, janv. 2002.

Ce processus constitue évidemment le corollaire des procédés de
récupération, dans le sens où celles/ceux qui refusent d'intégrer le
jeu médiatico-institutionnel se voient marginaliséEs (leurs
revendications étant alors considérées comme anormales et démesurées).

>> Mécanique, relais et théorèmes d'infiltration

Cette mécanique de marginalisation passe par divers médiums, notamment
par celles/ceux qui prétendent incarner la contestation « légitime ».
Ces dernierEs vont ainsi alimenter le discours visant à « épurer » le
mouvement contestataire. On a vu récemment des exemples concrets
montrant la participation volontariste de certainEs « réformistes »
cherchant à discréditer les franges radicales. C'est notamment la
fameuse théorie développée par certainEs états-majors d'Attac (Susan
George, Bernard Cassen...) sur les soi-disant accointances des black
blocs avec la police durant le contre-sommet de Gênes. On pourrait
d'ailleurs faire une analyse linguistique de leurs propos, qui
démontrerait clairement les intentions de ces gens-là : au lieu de
parler d'infiltration de la police dans les cortèges de manifestantEs
comme il y en a toujours eu (soit pour moucharder, soit pour provoquer
plus rapidement la répression), illes ont affirmé avoir assisté ou
entendu des témoignages prouvant la complicité entre carabiniers et
éléments des black blocs. On peut ainsi citer Susan George dans son
article du Monde Diplomatique paru en août 2001 : « Des témoignages
existent en effet de la complicité des autorités avec les groupes
provocateurs du Black Bloc qui ont ravagé une partie de la capitale
ligure ». 

Dans le même numéro, Ricardo Petrella (prof. à l'université catholique
de Louvain en Belgique) enchérit : « Les témoignages de brutalités,
voire de sévices, sur des manifestants ayant recours à des formes
non-violentes de désobéissance civile ­ alors que la police laissait
faire les groupuscules de casseurs professionnels... ».

Et même si certainEs vont nuancer cette théorie (un peu trop
« grosse ») de la connivence entre black blocs et les flics, illes ne
se gêneront pas pour jeter l'opprobre sur les groupes « radicaux »
qui, par leurs actes, se désolidariseraient du reste des manifestantEs
en faisant abattre sur ces dernierEs le plus gros de la répression.
Faut-il préciser que lors des contre-sommets, les groupes « radicaux »
(ou plutôt les groupes « actifs ») contribuent à tisser une solidarité
à l'intérieur des mouvements en n'hésitant pas, par exemple, à
arracher des mains de la police des personnes (« non-violentes » et
autres) sur le point de se faire embarquer. De même, la mobilisation
contre la réunion du FMI et de la Banque Mondiale à Washington en
avril 2000, montra que le black bloc pouvait agir de concert avec le
reste des manifestantEs. Ce dernier réussit notamment à contenir les
forces policières en installant un « cordon » qui défendait le cortège
de désobéissance civile [4]. Mais de toute façon, quand bien même les
manifestations seraient entièrement « non-violentes » (ce qui pose
déjà le problème du dualisme trop simpliste entre « violence » et
« non-violence »), la répression trouverait toujours un prétexte pour
réprimer ­ le pléonasme sous-entendant que c'est sa raison d'être.

Par contre, d'autres témoignages semblent se retourner contre
celles/ceux qui accusent les groupes « radicaux » de complicité avec
la police. Celui de cette ex-secrétaire d'Attac, présente à Gênes, est
assez révélateur de la quasi-connivence du service d'ordre d'Attac
avec les forces de police [5]. La militante réagissait alors à la
situation d'encerclement dans laquelle le groupe où elle était,
évoluait. Le cortège avait notamment été divisé par une escouade de
flics qui avait réussi à cantonner vers l'arrière un petit groupe de
manifestantEs pour les tabasser. Celle-ci s'empressa alors de remonter
le cortège pour rapporter l'information à Christophe Aguitton
(état-major d'Attac), la réponse de celui-ci fut non sans équivoque :
« mais bien sûr [...] nous avons collaboré tous ensemble, afin
d'éviter toute confusion, et je ne comprends pas où vous voulez en
venir, Mademoiselle, et vous vous trompez dans vos insinuations ».

>> Stratèges et tendeurs

Les procédés de criminalisation passent aussi par des tactiques plus
ou moins contextuelles à l'instar de la « stratégie de la tension »
comme on a pu le constater à Gênes. Autrement dit, il s'était instauré
un climat de tension avant, pendant et après le sommet. Ce climat
était entretenu par des pratiques mystificatrices de la part de la
police italienne, celles-ci étant relayées par les médias
institutionnels, démontrant de nouveau les liens concomitants entre
discours « légitime » et violence « légitime ». Ainsi, certainEs
journalistes parlèrent, juste avant le G8, d'un « hangar » qui devait
être destiné à l'accueil d'éventuelLEs mortEs, annonçant par là le
degré ultime de répression qui devait s'abattre sur les manifestantEs.
L'installation du grillage et des murs d'enceintes divisant la ville,
ainsi que le dispositif policier mis en place, contribuaient à
renforcer cette acclimatation. De même, toujours avant le G8,
l'annonce de plusieurs « attentats » et alertes à la bombe à
l'encontre de symboles policiers et institutionnels, fit effet de
psychose [6]. D'autant que tous ces actes n'étaient pas revendiqués,
et semblaient rappeler les sombres heures de la « stratégie de la
tension » durant les années 70-80, durant lesquelles le pouvoir en
place tenta de discréditer les mouvements d'extrême-gauche (lesquels
avaient de fortes assises populaires), en organisant, par le biais de
loges secrètes proches de l'extrême-droite, des attentats qu'il
faisait passer comme émanant de ces groupes révolutionnaires [7].

>> Rancoeurs historiques : la lumière ombragée de mai 68

Ces procédés de marginalisation cachent aussi des enjeux plus
structurels, dans le sens où on va voir émerger dans les discours, des
interprétations révélant des rancoeurs vis-à-vis de l'histoire plus ou
moins récente. CertainEs vont ainsi profiter de ce contexte pour
régler des comptes (enfouis) avec l'histoire, en l'occurrence avec
« mai 68 ». 

Dans certains médias, il apparaît souvent que le mouvement des
contre-sommets semble faire écho à la « révolution » de 68, laquelle
avait relativement échoué. Ceci aurait pu sonner comme un compliment
si toutefois on oubliât que ce vent d'espoir véhiculé par 68, fut lui
aussi délayé dans un processus de récupération (récupération du fait
de la présence de mouvements réformistes, d'une marginalisation des
critiques radicales... et à terme, d'une réduction des messages
politiques profonds à de simples slogans récupérés par les lieux
communs politiciens et par la pub).

On retrouve cette criminalisation de « l'héritage 68 » dans la
transposition des discours actuels sur « l'insécurité ». Si on prend
l'exemple des black blocs, leur message politique, dans la plupart des
médias, est réduit à l'image de « casseurs » (ignorant au passage les
« casseuses », c'est étonnant !). Pour ces médias, il s'agit donc
d'individus « inconscients », faisant par là un parallèle avec les
révoltes « spontanées » dans les banlieues, révoltes durant lesquelles
les journalistes omettent de mentionner ce qui est à l'origine de ces
émeutes légitimes : c'est-à-dire trop souvent des assassinats de
personnes du quartier par un keuf ou un commerçant zélé, et surtout :
les fondements latents qui sous-tendent une oppression sociale
(xénophobie d'Etat et xénophobie moins institutionnelle, politiques
d'immigration, double-peine, contrôle social, misère économique...).
C'est par ce mécanisme d'occultation simpliste que les médias ont
construit l'image folklorisée des quartiers populaires comme étant la
figure de « l'insécurité ». Or, le discours sécuritaire tente
aujourd'hui de chercher les causes de « l'insécurité » dans le
soi-disant « laxisme » crée par mai 68. Ainsi, on a vu Chirac,
notamment dans son discours de campagne à Mantes-la-Jolie (04 mars
02), accuser le « il est interdit d'interdire » de 68, d'être à
l'origine de tous les maux de la société. D'autres encore incriminent
le slogan soixante-huitard « CRS = SS » pour « réhabiliter » la
flicaille qui exprima récemment son soi-disant malaise dans les rues.
D'autres (ou les mêmes) remettent en cause la « révolution sexuelle »
et le combat féministe issu de ces années, comme étant
génératrice/teur du « laxisme destructeur » actuel (revenant par là
sur le principe de la déconstruction des genres, voire sur la question
de l'avortement pour les plus réactionnaires). Par conséquent, si on
suit ce discours, aujourd'hui dominant car relayé par les mass-médias,
c'est la faute à 68 et à ses enfantEs (les contre-sommets notamment)
si les « bourgeoisES » se font attaquer dans les rues.

Néanmoins, on assiste aussi à une évolution des paradigmes
criminalisant les « dangereuses utopies » : de l'image du « casseur »,
on veut désormais revenir à celle du « terroriste », comme au « bon
vieux temps » où dans l'imaginaire médiatisé, l'anarchiste était
celui/celle qui posait des bombes et tuait des présidents de la
république et des patrons, comme à la fin du 19e s., ou comme à
l'époque des groupuscules « radicaux » des années 70-80 (Action
Directe, Fraction Armée Rouge, Brigades Rouges...). Là aussi, on veut
régler ses comptes avec 68 qui, devant l'impasse et la récupération du
mouvement, avait vu se développer un volontarisme de lutte armée. Une
certaine rhétorique trotskiste, par exemple, n'hésite pas à comparer
les groupes affinitaires du black bloc à la fuite en avant d'Action
Directe qui par ses pratiques, selon elle, a voulu se « substituer aux
masses » [8] (discours qui oblitère l'assise populaire que ces
groupuscules ont eu un moment donné).

D'ailleurs, cette évolution des groupes contestataires « radicaux » à
travers les représentations médiatiques, se trouve étayée par les
politicienNEs qui tentent actuellement d'élargir la définition du
« terrorisme ». Lors des réunions interministérielles européennes, les
ministres de l'Intérieur, au moins depuis l'an dernier, aimeraient
bien voir s'étendre cette définition aux groupes « anarchistes »
(surtout dans les pays du Sud européen, comme la Grèce, l'Espagne,
l'Italie, où les groupes « radicaux » sont plus actifs qu'ailleurs).
Ce projet semble en tout cas être favorisé par la conjoncture du « 11
septembre », qui a vu se multiplier dans tous les Etats, des lois
« antiterroristes » qui, à l'occasion, peuvent permettre d'inclure
dans leur législation pénale, les personnes qui contestent par
n'importe quel moyen, « l'ordre politique, social et économique »
dominant. 


L'IMAGE ET LE MESSAGE

    « Le spectacle est alors la culture qui naît de l'économie
    marchande ­ le décor est planté, l'action se déroule, nous
    applaudissons quand nous pensons être heureuxSES, nous baillons
    quand nous pensons nous ennuyer, mais nous ne pouvons pas quitter
    le spectacle [...] Ces derniers temps, cependant, la scène sociale
    a commencé à s'effondrer, il est donc possible de construire
    un autre monde en dehors de ce théâtre ­ un vrai monde, cette
    fois, un monde dans lequel chacunE de nous participe en tant que
    sujet, pas en tant qu'objet »,.Carol Ehrlich, Les femmes
    et le spectacle, 1977.

    « Le dogme chrétien est contenu dans le Credo, je le veux bien,
    mais du Credo à ma conscienceindividuelle il y a un monde
    d'interprétations, des bibliothèques des saints, des hérésies,
    et des conciles. Et seul l'enfer n'a jamais varié. »,
    Antonin Artaud, Héliogabale ou l'anarchiste couronné, 1934.

Toutes ces questions concernant le traitement médiatique des
contre-sommets, nous amènent à considérer le problème plus général du
rapport à l'image auquel nous sommes confrontéEs à travers nos
démarches de « communication », où la construction de nos messages
politiques tente de répondre au désir de les transmettre.

>> Spectacle et symbole

Il semble primordial de considérer les contre-sommets sous l'angle du
raisonnement symbolique, que ce soit avec la destruction de
« vitrines » capitalistes, ou la tentative de pénétrer dans « la zone
rouge » pour en perturber le déroulement, voire le simple fait de
manifester. Durant ces contre-sommets, la contestation se donne de
toute façon en spectacle (la contestation est en soi spectaculaire),
car il faut reconnaître que bloquer un sommet de l'OMC, ce n'est pas
ce qui provoquera la « révolution » du mythique « grand soir ».

Etant donné que les contre-sommets sont peut-être entrés dans une
phase de spectacularisation, voire de folklorisation, il s'agit de se
demander si ce type d'action n'est pas devenu en fin de compte
sclérosant. Se pose par là l'avenir des contre-sommets. Faut-il
poursuivre la dénonciation des sommets en participant à ces
« kermesses » que les « réformistes » tentent de s'approprier ?
Faut-il proposer d'autres mode d'actions, viser d'autres cibles
directes ou indirectes des ennemiEs qu'on essaye de combattre (la
réponse est oui, mais encore) ? Tout ceci au risque de laisser les
« réformistes » s'emparer de la contestation au niveau
communicationnel...

>> Le paradoxe du médium

Ainsi, même si on se place dans une critique des médias et de la
société du spectacle, il faut reconnaître la nécessité de s'appuyer
sur des médiums pour pouvoir répandre un message qui se veut
alternatif, voire révolutionnaire. Et ceci doit tenir compte,
semble-t-il, d'éléments contradictoires : l'efficacité de
transmission, les aspects « cathartiques » dans l'acte politique
(c'est-à-dire les aspects spontanéistes, voire jouissifs dans l'acte,
qui sont aussi légitimes), la critique vis-à-vis du recours aux médias
institutionnels. 

Doit-on pour autant ignorer ces médias officiels, quand on sait que
ces derniers ne nous ignorent pas complètement et parlent de « nous »,
même s'ils le font en déformant les messages ? Et cette question
rejoint peut-être celle du rapport à entretenir avec les outils
institutionnels dans une situation où les rapports de force sont
défavorables. Quand il s'agit notamment de répondre à la répression
qui s'abat lors des contre-sommets, ne doit-on pas nécessairement
composer avec les outils judiciaires des institutions qu'on dénonce,
dans le but de se défendre un tant soit peu et limiter la casse (dans
le cas de manifestantES incarcéréEs) ?

En outre, sommes-nous capables de développer nos propres médiums
indépendants. Et cela ne concerne pas systématiquement le recours à
une « grosse machine » de transmission alternative, comme tend à le
devenir peut-être parfois Indymédia. Mais il s'agit aussi de poser la
question d'une transmission à une échelle plus accessible :
nous-mêmes, par exemple, sommes-nous capables de servir de médium à
des proches, des individuEs plus isoléEs dans la rue ou dans nos
autres lieux de vie, de travail, d'études... ?

Et finalement, il se peut aussi que l'objectif réside dans le
dépassement de l'image et du médium. Car de toute façon, tout biais
spectaculaire peut mener à des désillusions et à une simplification
des problèmes. Il s'agit d'insister sur la nécessité d'une révolution
immanente et quotidienne, afin de parfaire la construction de
l'individuE, individuation vers laquelle on essaye de tendre. Et
plutôt que de miser uniquement sur de la « communication » (qui
sous-tend une logique à court terme et ne reste qu'un moyen), ne
faut-il pas insister sur le concept de « transmission », qui tend plus
vers le long 

Dijon, mai 2002 
Kandjare 


[1] Cf. dans « représentation », il y a l'idée de « montrance », de
médium et à terme, de « spectacle », entendue comme négation de
l'individuE en tant qu'être pensantE, actif/ve et créatif/ve. La
spectacularisation de la vie politique révèle son
institutionnalisation ancrée dans une bureaucratisation qui cantonne
l'idée commune de la politique à une classe spécialisée, celle qui
s'érige comme détentrice « du pouvoir ».

[2] Les connivences entre médias et « pouvoirs » ne sont presque plus
à démontrer (cf. travaux de Serge Halimi ; Pierre Carles, Pas vu, par
pris,...).

[3] Durant laquelle le procès du démontage du McDo de Millau fut
l'occasion d'une mise en scène politique, accompagnée de débats,
forums, concert...

[4] cf. http://www.cettesemaine.free.fr/bbdarkveggy.html ; ou
Darkveggy, Black Bloc, au singulier ou au pluriel... mais de quoi
s'agit-il donc ?, éd. turbulentes, 2000.

[5] Cf. http://infosuds.free.fr/082001/G8temoignageATTAC.htm

[6] Lundi 16 juillet 01 : un colis piégé blesse un carabinier génois.
Mercredi 18 juill. : un engin explose à Milan dans les locaux d'une
chaîne de télévision appartenant à Berlusconi, blessant légèrement une
secrétaire. La mairie de Gênes reçoit une enveloppe contenant deux
balles d'armes. A Milan, un cocktail est lancé contre une agence
d'Intérim. A Bologne, un engin est désamorcé. A Trévise, un courrier
explosif est envoyé chez Benetton...

[7] D'ailleurs, lors de son 1er gouvernement, Berlusconi avait fait
sortir de prison les membres de la Loge P2. Cette loge, qui participa
activement à la « stratégie de la tension » dans les années 70-80,
était composée de membres affiliéEs aussi bien à la haute bourgeoisie
proche du Vatican et des partis fascistes, qu'à la gauche socialiste
italienne.

[8] Cf. le site de la LICR, avec une page concernant les Black Blocs
(http://www.pouvoir-ouvrier.org/mondialisation/black.html).

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Texte disponible sur
http://infos.samizdat.net/article.php3?id_article=161

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No copyright © 2002 Kandjare.

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