/b/u/g/ on Mon, 1 Apr 2002 09:54:08 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] Appel contre la directive europeenne sur le copyright


Faut-il appliquer aux publications scientifiques la Directive européenne
2001/29/CE du 22 mai 2001 sur le copyright ?



La Directive défend en principe les intérêts des auteurs en assurant aux
éditeurs qui diffusent leurs oeuvres des protections légales, notamment
contre la copie illicite. Cependant son application aux publications
scientifiques notamment à la "littérature" dite "primaire" (revues
scientifiques hebdomadaires ou mensuelles), essentiellement lue par des
chercheurs, pourrait nuire à la diffusion des résultats de la recherche au
sein et à l'extérieur de la communauté scientifique.

La différence entre un auteur chercheur et un auteur ordinaire est que le
chercheur ne cherche pas à tirer un avantage financier de sa publication. Le
bénéfice qu'il en attend est une contribution au mécanisme de la
"reconnaissance" qui est la "marchandise" échangée entre eux par les
chercheurs. Les auteurs scientifiques ont intérêt à ce que leur travail soit
le plus diffusé possible, y compris par la copie, puisque cette diffusion
même constitue leur "rémunération". Sur ce besoin de la communauté
scientifique s'est monté le système de publications construit soit par des
sociétés savantes, soit par des éditeurs commerciaux. Ils tirent leurs
revenus des abonnements à leurs revues payées par les bibliothèques, les
organismes de recherche ou les chercheurs individuels. Ils obtiennent
facilement des auteurs l'abandon à leur profit du copyright. Maintenant les
éditeurs veulent faire valoir leurs droits en exigeant des compensations
financières pour les photocopies ou les prêts inter-bibliothèques. Mais à
aucun moment il n'est question de faire profiter de ces droits les auteurs
ou les institutions qui ont financé la recherche.

Le domaine des publications scientifiques est donc très différent de celui
des publications ordinaires. Il semble qu'il ne soit pas possible (opportun)
d'appliquer le même corpus légal à deux activités aussi différentes, en
particulier parce que si les chercheurs ont, de fait, abandonné aux éditeurs
le droit patrimonial, ils conservent le droit moral sur leur oeuvre, qui est
généralement le résultat du financement public de la recherche par la
collectivité.

Deux positions s'affrontent, certains estiment que la "littérature"
scientifique est un bien public et qu'elle ne doit pas être contrôlée et
possédée par des intérêts privés, d'autres que les éditeurs rendent un
véritable service à la recherche en publiant les articles après les avoir
fait évaluer et en assurant la distribution de l'information, service qui
doit être normalement rémunéré. La situation a considérablement évolué ces
dernières années avec la possibilité de mettre les articles en accès direct
sur la Toile et donc pour les chercheurs d'exploiter une forme nouvelle
d'édition et de diffusion caractérisée par sa rapidité et par la possibilité
de présenter les images qui accompagnent les textes d'une manière plus
efficace que sur le papier.

Une polémique fait rage depuis Avril 2001 dans les pages du magazine
britannique "Nature" : www.nature.com/nature/debates/e-access/ Trois
partenaires s'affrontent : les chercheurs dont beaucoup ont pris une
position radicale appelant par exemple au boycott des revues qui refusent de
mettre leurs articles en libre accès sur le réseau au bout de six mois, les
éditeurs qui font valoir leurs services, et les bibliothèques principaux
clients des revues et toujours à court d'argent.

Ce débat ne peut être ignoré au niveau de l'application d'une Directive
européenne sur le copyright alors que les Institutions scientifiques
(notamment la Royal Society) ont dûment averti durant sa conception les
responsables européens de la complexité de la situation. Le problème de la
publication scientifique est en pleine évolution, il s'agit bien sûr de la
publication en langue anglaise à l'échelle internationale dans laquelle les
États-Unis, et les lois américaines, jouent un rôle majeur. On sait qu'en
France les publications sont en crise en raison du problème de la langue et
de la faiblesse des structures éditoriales nationales, auxquelles se
substituent souvent des éditeurs européens, le plus souvent commerciaux. Les
bibliothèques sont aussi en France dans une position très difficile
notamment les Bibliothèques universitaires, un problème dont les pouvoirs
publics se soucient peu. Il paraîtrait judicieux de suspendre l'application
de la Directive européenne "copyright" aux publications scientifiques, en
raison de leur spécificité, et dans l'attente d'une clarification de la
situation internationale, ou au moins de la définition d'une position
française dans ce débat. Beaucoup de choses sont liées aux développements du
Web qui dépendent eux mêmes d'une autre question controversée, celle des
logiciels libres (nécessaires pour "naviguer" à travers l'immense
littérature scientifique). Il existe plusieurs propositions de structure
destinée à accueillir les publications scientifiques, par exemple le projet
"Public Library of Science" www.publiclibraryofscience.org

Il serait utile aussi que des Institutions françaises puissent participer au
débat international qui s'est engagé et que les spécificités nationales
comme celles de la langue et de la francophonie puissent être prises en
compte (s'il existe un jour une grande bibliothèque virtuelle des
publications scientifiques encore faut-il qu'elle puisse traiter les
articles en français ...)

Nous croyons utile de soumettre ces réflexions à quelques auteurs, éditeurs
et bibliothécaires scientifiques. Si elles reçoivent votre agrément,
moyennant éventuellement quelques retouches, nous vous serions
reconnaissants de nous le faire savoir. Nous pourrions alors envisager une
consultation plus large en vue de tenter d'obtenir la suspension de
l'application de la Directive aux publications scientifiques, (les États
Membres peuvent proposer des exceptions), et d'élaborer des propositions sur
leur avenir possible.

Au nom de la Sous-Commission du Groupe "Science Société" de l'Académie des
Sciences chargée des questions de propriété intellectuelle :

Paul Caro (Académie des Sciences, Chimie), le 9 décembre 2001

Signataires initiaux :
(délégués de sections, Académie des Sciences).
Roger Balian (Physique)
Robert Corriu (Chimie)
Jules Hoffmann (Biologie animale et végétale)
Jean-Pierre Kahane (Mathématique)
Pierre Léna (Sciences de l'Univers)
Yves Meyer (Sciences mécaniques)
Bernard Roques (Biologie cellulaire et moléculaire)
Pierre Tiollais (Biologie humaine et sciences médicales)

>> Les signataires
http://www-mathdoc.ujf-grenoble.fr/cgi-bin/signature.pl

>> Informations
http://www-mathdoc.ujf-grenoble.fr/DA

>> Signer
http://www-mathdoc.ujf-grenoble.fr/DA/signer.html


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