/b/u/g/ on Mon, 18 Mar 2002 20:14:12 +0100 (CET) |
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[nettime-fr] Viol - Gueulante anti-repressive |
Gueulante anti-répressive Je viens de recevoir un mail qui appelle à des peines plus dures et mieux appliquées contre les violeurs et tous ceux qui commettent des violence envers les femmes. Et je suis tout bêtement accablé. Qu'est-ce que c'est que ce soi-disant "féminisme (dont on me dit qu'il est) de droite" qui surfe sur le discours sécuritaire ? A quoi ça sert de s'évertuer à dire que le crime contre les femmes est le produit d'un système symbolique qui dévalorise les femmes, marchandise leur corps et en fait un objet sexuel si c'est pour que des femmes viennent réclamer plus de répression ? Je laisse ces femmes aller manifester avec l'extrême-droite devant les tribunaux pour réclamer la peine de mort contre les violeurs... Sûrement, cela fera avancer les choses... Confondre la cause et les effets, c'est imbécile. Nous sommes tous et toutes, hommes et femmes, des criminels potentiels. Croire qu'une approche punitive, répressive du crime permet d'empêcher ces crimes est un leurre. Mais par contre, on peut analyser en quoi la société produit et oriente ces crimes, en quoi elle en est responsable. Et là, on devient déjà plus constructif. Oui l'image sociale, culturelle et historique de la femme dont nos sociétés se font les détentrices favorisent le crime masculin contre les femmes, et particulièrement les crimes de nature sexuelle, c'est très net. Et se focaliser sur les criminels en appelant à la répression, drapé-e dans une vertu moralisatrice face au crime qui a le vent en poupe, c'est se battre sontre des personnes qui incarnent ce système mais en rien le déstabiliser. Appeler à coller en prison les violeurs et les assassins de femmes est même, à mon sens, le contraire du féminisme. Dans son idée même, il doit plutôt nous inciter à chercher comment, au niveau social, collectif, et psychologique, individuel, changer ces hommes remplis de haine et de dédain pour les femmes et la représentation qu'ils s'en font. Il faut demander à la société de répondre de ce qu'elle produit. J'irai même plus loin : faire croire que la violence contre les femmes est un phénomène qu'on peut contrer avec plus de répression revient à légitimer tout l'appareil de valeurs de la domination masculine. D'ailleurs, et plus généralement, si les femmes sont toujours et partout victimes de pressions et de violences psychologiques, physiques, symboliques et que leur corps est objectivé, marchandisé et asservi, que l'inégalité et les injustices sont criantes, flagrantes et nombreuses, c'est parce que les dominants masculins ont assis leurs pouvoirs, leurs valeurs, leurs normes avec le consentement, la complicité, au sens le plus neutre du terme, de nombreuses femmes. Autrement, nous autres, hommes et femmes avons intériorisé, sous maints aspects, les valeurs de la domination masculine et les coupures qu'elle établit dans sa vision du monde. La domination masculine restera confortablement assise tant que les femmes et les hommes qui veulent lutter contre elle ne remetteront pas en question de A à Z les valeurs et les discours proposés par la société dominé par les hommes, tels que le discours répressif. Il faut s'insurger contre les violences faites aux femmes, contre les mots et les images dégradants ou objectivants propagés à son sujet, contre les inégalités sociales de genre, contre la marchandisation des corps, la prostitution, la pornographie, la publicité, contre la restriction artificielle de la place de la femme dans les espaces sociaux publics et son rôle social déterminé par les hommes et perpétué par la famille. Mais il faut aussi s'insurger contre les valeurs moralisatrices ambiantes que nous lègue le système de la domination masculine. L'égalité hommes-femmes ne peut se faire sur les lignes actuelles. On ne peut pas dire que si on inflige le même traitement aux hommes qu'aux femmes ou que si on suit les méthodes employés par le système actuelle, on va chager vraiment les choses. On les tirera vers le bas, par exemple en marchandisant le corps des hommes (phénomène encore très minoritaire : prostitution d'hommes comme en Australie, image dégradante des hommes comme dans la publicité Kookai, ou exhibition permanente du corps des hommes...) à leur tour - quand bien même avec leur assentiment, ces valeurs viennent d'eux après tout. On exercera alors également cyniquement le pouvoir - comme les hommes l'ont fait tout au long de l'histoire. On créera également des pressions moralisatrices et culpabilisantes sur les dominé-e-s - comparables à celles qui ont pesé et pèsent encore sur les femmes. On légitimera la guerre, en arborant un occidentalisme pétri de supériorité - ne faisant en aucun cas le bilan du passé colonialiste et impérialiste de nos pays. On soutiendra un capitalisme forcément violent et pernicieusement approuvé par les masses... Les femmes peuvent être l'égal des hommes dans un tel système mais je ne crois pas cela cohérent avec l'idéal féministe... La clique masculine bourgeoise aux pouvoirs, son capital culturel et économique, ses réseaux, ses flics et ses armées, sa propagande, sa soi-disante justice, son pseudo-visage humain, son complexe de supériorité occidental et son dédain pour la diversité et la tolérance, qui domine le monde a octroyé une fenêtre aux femmes car elle sait très bien que le meilleur moyen de réduire une opposition au silence est de lui donner la parole. Mais elle ne valorise cette parole que lorsqu'elle abonde dans son sens, comme lorsqu'il s'agit de surenchérir dans le discours sécuritaire et répressif à propos des violences contre les femmes. C'est la force de la démocratie libérale-capitaliste bourgeoise : avec un sourire entendu, elle s'amuse à voir jouer celles et ceux qui pourraient en menacer les fondements soutenir, sans s'en apercevoir, son ordre. elle sait qu'il suffit de minimiser les problèmes et de proposer des caricatures de solutions et de justifier son action par ce que tou-te-s, certaines féministes comprises, croient acquis et "normal" pour maintenir l'ordre social qui lui est si cher. Pourquoi perdre cette parole accordée de façon parcellaire aujourd'hui au féminisme en justifiant d'autres formes d'oppression ? Pourquoi perdre cette parole dans un discours essentialiste et pessemiste et ne pas plutôt penser qu'on peut changer la société et même - aussi violents et insupportables soient-ils - les hommes ? Pourquoi sombrer dans la facilité. C'est bien la question que je souhaitais poser sur ce fil... Fred O 11/03/2002 Je tenais bien à préciser que par rapport au texte, je suis en accord avec l'idée que les viols sont banalisés, minimisés et sous-condamnés, évidemment. Mais cette réflexion sur ce point ne vaut que dans ce système. La pénalisation du crime et sa répression par la prison ou tout autre moyen ne mènera nulle part parce qu'elle ne met jamais en cause la société qui produit et oriente ces crimes. Extrait du forum des chiennes de gardes : http://chiennesdegarde.org _____________________________________________ #<nettime-fr@ada.eu.org> est une liste francophone de politique, art et culture lies au Net; annonces et filtrage collectif de textes. #Cette liste est moderee, pas d'utilisation commerciale sans permission. #Archive: http://www.nettime.org contact: nettime@bbs.thing.net #Desabonnements http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr #Contact humain <nettime-fr-admin@ada.eu.org>